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    La Saga de Luc (suite )

     

     

     

    - Oui, mais... rapporte-moi des fleurs et de la verdure, tu peux bien faire çaLa Saga de Luc "elle fumait des baltos (suite) pour ta mère...

    Luc fila, des fois qu’une autre demande lui passerait par la tête. 

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Le bunker du Japonais - La distillerie - Les lapins sont des cons

    Le radeau sur la Seille - La culotte de Lucette

     

     

    - Ouais! On t’attendait! On fait quoi aujourd’hui?

    Jeanjean tortilla des fesses et se frotta les mains, son frère attendait, le pouce dans la bouche.

    - J’ai une idée, mais on attend le petit Yvan.

    - Justement le voilà!

    Il suçait une grosse pêche, avec des bruits de succion exagérés pour faire envie aux garçons.

    - Bon, je suggère qu’on aille à la Seille. J’ai lu une histoire de l’Oncle Paul dans le Spirou, sur le Kon-Tikki. On va faire un radeau avec des roseaux et on va descendre la rivière, qu’est que vous en dites?

    - C’est sensass! Ça c!est une idée! Mais... je ne sais pas nager, mon frère non plus.

    - Moi itou, ajouta le petit Yvan.

    - Et alors? La belle affaire! Moi non plus. Quelle importance puisque le radeau va flotter et nous porter. Ça va être vachement bien, non?

    - Ouais!

    Ils longèrent les voies du chemin de fer, très riches en zones de jeux. Entre autres, une muraille en bloc de grès des Vosges où les nombreux interstices servaient de repères à des colonies de lézards. Chacun devait démontrer son adresse en attrapant les reptiles derrière la tête, pas par la queue qui se cassait en gigotant. Non loin de là se trouvait un grand bac en ciment avec une trappe d’accès sur le dessus. C’est par celle-ci que les cheminots vidaient chaque matin les résidus de leurs lampes au carbure. Une grande partie des déchets formait une pâte consistante, il restait cependant de nombreux morceaux secs, encore utilisables. Les jours “carbure” exigeaient une certaine planification, il importait de boire un maximum d’eau pour avoir une vessie bien remplie en début d’après-midi. C’est Jeanjean qui insistait pour descendre par la trappe et récolter les bons morceaux de carbure. Des bouteilles vides trouvées le long du ballast recevaient quelques morceaux de carbure, une bonne dose d’urine et un bouchon. Lancées contre la muraille des lézards, les cocktails Molotov improvisés explosaient mais ne produisaient pas assez de bruit. Le petit Yvan qui avait toujours un Spirou d’avance, proposa d’insérer des mèches et de les enflammer. Un wagon de marchandises vide, sur une voie de garage, fut baptisé “Le bunker des Japonais”.

    - On fait comme à Guadalcanal, commanda le petit Yvan, c’est mon idée après tout.

    - Dac, mais c’est moi qui donne l’ordre de lancer.

    Ils s’accroupirent derrière une levée de terre, allumèrent les mèches, et au signal de Luc, les quatre bouteilles s’envolèrent. Trois explosèrent contre la paroi du wagon, celle de Jeanjean passa par la lucarne à droite et explosa à l’intérieur. Un hurlement jaillit du wagon.

    - Bon dieu de nom de dieu! Vlà les boches qui remettent ça!

    Un clochard, familier du quartier, se rua à l’extérieur et se jeta la face dans les graviers, les mains plaquées contre les oreilles. Pinpin se roula sur le sol pris d’un fou-rire catastrophique. Le clochard se redressa, vit les visages médusés des enfants. Il se releva d’un bond.

    - Boudiou! Petits fumiers! Que je vais vous foutre ma pogne sur le râble et vous couper les roupettes!

    Le vieil homme surpris dans son sommeil n’avait pas eu le temps de se chausser, ce que le ballast pointu lui rappela en lui enlevant toute velléité de poursuivre les garçons.

    Ceux-ci n’en demandèrent pas plus pour filer.

    - C’était super sensass, vachement chouette, dommage que ça n’a pas pété plus fort, il devait manquer quelque chose à la recette, tu ne crois pas, demanda Luc.

    Le petit Yvan fronça les sourcils. ( à suivre )

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     Elle devait penser à autre chose car l’accord tomba, sans menace, sans restriction. Elle se ravisa pourtant à la dernière seconde,

    - Oui, mais... rapporte-moi des fleurs et de la verdure, tu peux bien faire ça pour ta mère...

    Luc fila, des fois qu’une autre demande lui passerait par la tête. 

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Le bunker du Japonais - La distillerie - Les lapins sont des cons

    Le radeau sur la Seille - La culotte de Lucette

     

     

    - Ouais! On t’attendait! On fait quoi aujourd’hui?

    Jeanjean tortilla des fesses et se frotta les mains, son frère attendait, le pouce dans la bouche.

    - J’ai une idée, mais on attend le petit Yvan.

    - Justement le voilà!

    Il suçait une grosse pêche, avec des bruits de succion exagérés pour faire envie aux garçons.

    - Bon, je suggère qu’on aille à la Seille. J’ai lu une histoire de l’Oncle Paul dans le Spirou, sur le Kon-Tikki. On va faire un radeau avec des roseaux et on va descendre la rivière, qu’est que vous en dites?

    - C’est sensass! Ça c!est une idée! Mais... je ne sais pas nager, mon frère non plus.

    - Moi itou, ajouta le petit Yvan.

    - Et alors? La belle affaire! Moi non plus. Quelle importance puisque le radeau va flotter et nous porter. Ça va être vachement bien, non?

    - Ouais!

    Ils longèrent les voies du chemin de fer, très riches en zones de jeux. Entre autres, une muraille en bloc de grès des Vosges où les nombreux interstices servaient de repères à des colonies de lézards. Chacun devait démontrer son adresse en attrapant les reptiles derrière la tête, pas par la queue qui se cassait en gigotant. Non loin de là se trouvait un grand bac en ciment avec une trappe d’accès sur le dessus. C’est par celle-ci que les cheminots vidaient chaque matin les résidus de leurs lampes au carbure. Une grande partie des déchets formait une pâte consistante, il restait cependant de nombreux morceaux secs, encore utilisables. Les jours “carbure” exigeaient une certaine planification, il importait de boire un maximum d’eau pour avoir une vessie bien remplie en début d’après-midi. C’est Jeanjean qui insistait pour descendre par la trappe et récolter les bons morceaux de carbure. Des bouteilles vides trouvées le long du ballast recevaient quelques morceaux de carbure, une bonne dose d’urine et un bouchon. Lancées contre la muraille des lézards, les cocktails Molotov improvisés explosaient mais ne produisaient pas assez de bruit. Le petit Yvan qui avait toujours un Spirou d’avance, proposa d’insérer des mèches et de les enflammer. Un wagon de marchandises vide, sur une voie de garage, fut baptisé “Le bunker des Japonais”.

    - On fait comme à Guadalcanal, commanda le petit Yvan, c’est mon idée après tout.

    - Dac, mais c’est moi qui donne l’ordre de lancer.

    Ils s’accroupirent derrière une levée de terre, allumèrent les mèches, et au signal de Luc, les quatre bouteilles s’envolèrent. Trois explosèrent contre la paroi du wagon, celle de Jeanjean passa par la lucarne à droite et explosa à l’intérieur. Un hurlement jaillit du wagon.

    - Bon dieu de nom de dieu! Vlà les boches qui remettent ça!

    Un clochard, familier du quartier, se rua à l’extérieur et se jeta la face dans les graviers, les mains plaquées contre les oreilles. Pinpin se roula sur le sol pris d’un fou-rire catastrophique. Le clochard se redressa, vit les visages médusés des enfants. Il se releva d’un bond.

    - Boudiou! Petits fumiers! Que je vais vous foutre ma pogne sur le râble et vous couper les roupettes!

    Le vieil homme surpris dans son sommeil n’avait pas eu le temps de se chausser, ce que le ballast pointu lui rappela en lui enlevant toute velléité de poursuivre les garçons.

    Ceux-ci n’en demandèrent pas plus pour filer.

    - C’était super sensass, vachement chouette, dommage que ça n’a pas pété plus fort, il devait manquer quelque chose à la recette, tu ne crois pas, demanda Luc.

     

     

     

     

    Elle devait penser à autre chose car l’accord tomba, sans menace, sans restriction. Elle se ravisa pourtant à la dernière seconde, - Oui, mais... rapporte-moi des fleurs et de la verdure, tu peux bien faire ça pour ta mère... Luc fila, des fois qu’une autre demande lui passerait par la tête. Le bunker du Japonais - La distillerie - Les lapins sont des cons Le radeau sur la Seille - La culotte de Lucette - Ouais! On t’attendait! On fait quoi aujourd’hui? Jeanjean tortilla des fesses et se frotta les mains, son frère attendait, le pouce dans la bouche. - J’ai une idée, mais on attend le petit Yvan. - Justement le voilà! Il suçait une grosse pêche, avec des bruits de succion exagérés pour faire envie aux garçons. - Bon, je suggère qu’on aille à la Seille. J’ai lu une histoire de l’Oncle Paul dans le Spirou, sur le Kon-Tikki. On va faire un radeau avec des roseaux et on va descendre la rivière, qu’est que vous en dites? - C’est sensass! Ça c!est une idée! Mais... je ne sais pas nager, mon frère non plus. - Moi itou, ajouta le petit Yvan. - Et alors? La belle affaire! Moi non plus. Quelle importance puisque le radeau va flotter et nous porter. Ça va être vachement bien, non? - Ouais! Ils longèrent les voies du chemin de fer, très riches en zones de jeux. Entre autres, une muraille en bloc de grès des Vosges où les nombreux interstices servaient de repères à des colonies de lézards. Chacun devait démontrer son adresse en attrapant les reptiles derrière la tête, pas par la queue qui se cassait en gigotant. Non loin de là se trouvait un grand bac en ciment avec une trappe d’accès sur le dessus. C’est par celle-ci que les cheminots vidaient chaque matin les résidus de leurs lampes au carbure. Une grande partie des déchets formait une pâte consistante, il restait cependant de nombreux morceaux secs, encore utilisables. Les jours “carbure” exigeaient une certaine planification, il importait de boire un maximum d’eau pour avoir une vessie bien remplie en début d’après-midi. C’est Jeanjean qui insistait pour descendre par la trappe et récolter les bons morceaux de carbure. Des bouteilles vides trouvées le long du ballast recevaient quelques morceaux de carbure, une bonne dose d’urine et un bouchon. Lancées contre la muraille des lézards, les cocktails Molotov improvisés explosaient mais ne produisaient pas assez de bruit. Le petit Yvan qui avait toujours un Spirou d’avance, proposa d’insérer des mèches et de les enflammer. Un wagon de marchandises vide, sur une voie de garage, fut baptisé “Le bunker des Japonais”. - On fait comme à Guadalcanal, commanda le petit Yvan, c’est mon idée après tout. - Dac, mais c’est moi qui donne l’ordre de lancer. Ils s’accroupirent derrière une levée de terre, allumèrent les mèches, et au signal de Luc, les quatre bouteilles s’envolèrent. Trois explosèrent contre la paroi du wagon, celle de Jeanjean passa par la lucarne à droite et explosa à l’intérieur. Un hurlement jaillit du wagon. - Bon dieu de nom de dieu! Vlà les boches qui remettent ça! Un clochard, familier du quartier, se rua à l’extérieur et se jeta la face dans les graviers, les mains plaquées contre les oreilles. Pinpin se roula sur le sol pris d’un fou-rire catastrophique. Le clochard se redressa, vit les visages médusés des enfants. Il se releva d’un bond. - Boudiou! Petits fumiers! Que je vais vous foutre ma pogne sur le râble et vous couper les roupettes! Le vieil homme surpris dans son sommeil n’avait pas eu le temps de se chausser, ce que le ballast pointu lui rappela en lui enlevant toute velléité de poursuivre les garçons. Ceux-ci n’en demandèrent pas plus pour filer. - C’était super sensass, vachement chouette, dommage que ça n’a pas pété plus fort, il devait manquer quelque chose à la recette, tu ne crois pas, demanda Luc. Le petit Yvan fronça les sourcils.

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  • Fidèle à notre rendez-vous hebdomadaire, voici la suite de "Elle fumait des Baltos", dans " La saga de Luc ", premier tome d'une série de 8... Je continue de publier, avec souvent le sentiment d'envoyer mes textes dans le vide, puisque je ne reçois aucun commentaire, sur gerard.stell@outlook.fr... à bon entendeur...

     

     

    La Saga de Luc (suite )

     

     

     

    La place de l’école - La fille d’un lord - La bagarre

    Les seins d’Irène - L’épicier italien - Le crottin de cheval

     

     

     Le soleil se hissa au-dessus des faîtières des toitures et s’empara peu à peu de la rue. Assis sur le rebord de la devanture de la mercerie, Luc claquait des dents depuis une bonne demie-heure. Des vagues de chair de poule fusaient sur ses bras et ses jambes nus. Plongé dans la lecture d’un ancien numéro de Spirou, il attendait le passage de la glacière de la brasserie Amos. Annoncé de loin par le claquement sonore des sabots sur l’asphalte, le puissant percheron absorba lentement la montée de la rue. Le cocher s’arrêta à la hauteur du garçon, les mains sous son grand tablier en cuir.

    - Alors petit, une demie-barre, comme d’habitude?

    - Oui monsieur.

    - Tu es vraiment certain que ce n’est pas trop lourd pour toi? 

    - Mais non, aujourd’hui j’ai dix ans!

    - Ah, si t’as dix ans, alors je n’ai plus rien à dire, salut!

    En fait, le pain de glace pesait lourd, très lourd, surtout que son contact brûlait les bras nus. Il pouvait, en serrant les dents et en retenant sa respiration, grimper un étage et poser la barre sur une marche, le temps que la morsure du froid s’estompe. Plus que le froid, Luc redoutait les deux manipulations à chaque étage, poser la barre, la saisir et la soulever. La douleur fut une fois si intense, qu’il lâcha la barre trop vite au deuxième étage. Mal équilibrée, celle-ci glissa sur les marches à toute allure en percutant les murs des paliers comme une grosse boule de billard qui giclerait en éclats sur chaque marche. La descente infernale s’épuisa dans le couloir où il ne resta plus qu’un glaçon de la taille du poing. Mais quelle différence ce matin! Il l’avait tout de suite remarqué à son réveil, il se sentait nettement plus fort, ses muscles saillaient plus, on ne pourrait plus le traiter de gamin.

    - Oh, dépêche-toi! Tu ne vois pas que tu mouilles mon tapis? Quel empoté! En voilà bien des manières pour un morceau de glace...

    La respiration courte et les jambes flageolantes, Luc laissa tomber la demie-barre dans la glacière.

    - Tiens, maintenant tu prends le seau et la pelle, et tu vas ramasser le crottin, et attention! N’en laisse pas, j’en ai besoin pour mes plantes. Que ça ne traîne pas!

    Le garçon lança un regard furieux et claqua la porte. Quelle humiliation! Il devait suivre le chemin emprunté par le cheval, repérer les boules de crottin et les ramasser avec sa pelle, les joues et les oreilles embrasées par la honte. Heureusement cela se passait tôt le matin, aucun de ses copains ne pouvait le voir. Cette enflure de Martiano qui sortait ses cageots de légumes le héla,

    - Salut grand chef! La récolte est bonne?

    Il fit celui qui n’avait pas entendu, obsédé par les plantes sur le balcon, comment les faire crever? Il ne se berçait d’aucune illusion en montrant son seau à moitié rempli, le jeudi matin ne faisait que commencer, il resta donc immobile, obéissant, en attente de l’énoncé de la corvée suivante.

    - Laisse le seau sur le balcon, tu vas me passer le parquet de la salle à manger à la paille de fer, et ne rêve pas!

    Il ne faut pas qu’elle trouve un prétexte, il ne faut pas qu’elle m’interdise de sortir cet après-midi...

    Le travail ne pouvait souffrir aucun reproche, il y mit toute sa volonté, il s’y livra avec autant de rage que de désespoir, en ahanant, le front couvert de transpiration. 

    Il lui arrivait parfois, au cours de ses corvées ménagères, de voir en face, le petit Yvan accoudé à sa fenêtre, encore en pyjama. La veine qu’il pouvait avoir celui-là!! Il se levait sans doute vers les dix heures, sa grand-mère lui apportait son petit-déjeûner au lit, ensuite il pouvait feignasser jusqu’à midi. Jamais de corvées, jamais de commissions, il vivait comme un véritable seigneur, couvé, bichonné. Qu’est-ce qu’il l’enviait, mais lui... c’était le petit Yvan, il ne s’appelait pas Luc.

    Il n’était pas loin de midi, le travail enfin terminé. Luc affalé sur une chaise, le souffle court, plié en deux attendait que le point sur le coté cesse de le transpercer.

    - Tu en as mis du temps! Heureusement que tu n’es pas payé à la pièce, tu ne mangerais pas souvent à ta faim! Tu vas me prendre des biftecks à la boucherie, et tu insistes bien, qu’ils soient tendres!

    Luc descendit les trois étages à califourchon sur la rampe en bois, attentif à ne pas se coincer les genoux dans les volutes du fer forgé. Bien sûr, la queue dans la boucherie allait à cette heure jusqu’à l’entrée. Par chance, la dame devant lui donnait la main à une petite fille. La bouchère allait faire des amabilités à la maman, et offrir une tranche de saucisse à la fillette.

    - Tiens ma petite... Toi aussi Luc, mais tu deviens un grand, la saucisse est réservée normalement aux petits...

    Luc savoura sa tranche tout en pensant que le monde n’était fait que d’injustices, et que parfois c’était con de grandir.

    - Tu veux quoi?

    - Trois biftecks, il faut qu’ils soient tendres s’il vous plaît.

    Luc prononça ces derniers mots en regardant ses pieds, encore humilié par un souvenir cuisant. Sa mère l’avait obligé de ramener juste avant la fermeture de la boucherie trois bifs racornis, y compris la poêle.

    - Et tu vas leur dire que c’est plein de nerfs, que c’est de la semelle!

    - Ils sont à moitié mangés, ils vont pas être contents...

    - Comment je pourrais dire qu’ils ne sont pas bons si je n’ai pas goûté? File! Ils vont voir que je ne me laisse pas faire, ces profiteurs!

    - Ouais, mais c’est quand même moi qui dois y aller.

    - Et alors? tu es là pour ça, non?

    La mort dans l’âme, Luc descendit les escaliers pas à pas, la poêle à la main, il pria le grand Manitou,

    - Pourvu que personne ne me voie...

    Il resta dans le couloir à épier la boucherie jusqu’à ce qu’elle se vide de ses derniers clients, puis traversa la rue et bondit dans le magasin.

    - C’est de la semelle, ils sont pleins de nerfs, c’est ma mère qui l’a dit!

    Le couple observa un temps de silence. Ils échangèrent un regard irrité, haussèrent les épaules. Luc entendit le boucher murmurer entre ses dents,

    - Pauvre gosse...

    Lorsqu’il revint avec ses trois nouveaux biftecks, sa mère remarqua, triomphante,

    - Tu vois pauvre cloche, prends-en de la graine, on obtient toujours ce qu’on veut, suffit de ne pas se laisser faire.

    La vaisselle lavée, essuyée, sans casse, il balaya la cuisine et l’entrée. Pour faire bonne mesure, il passa un chiffon sur les meubles avec d’autant plus de fébrilité qu’il entendait les voix de Jeanjean et Pinpin crier, en bas sur le trottoir.

    - Voilà, c’est terminé, je peux sortir?

    Elle devait penser à autre chose car l’accord tomba, sans menace, sans restriction. Elle se ravisa pourtant à la dernière seconde,

    - Oui, mais... rapporte-moi des fleurs et de la verdure, tu peux bien faire ça pour ta mère...

    Luc fila, des fois qu’une autre demande lui passerait par la tête.  ( à suivre )

      

     

     

     

     

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  • Les jours se suivent et ne se ressemblent pas. Il neige encore, déjà plus de 30cm. Le chasse-neige va bientôt passer, enfin, je l'espère... C'est une journée à "buller", à lire et à écouter Accent 4, la radio classique qui consacre toute la journée à La Callas, sa vie et tous les extraits de ses opéras... Le bonheur...

     

     

     

     

     

    La Saga de Luc (suite )

     

     

     

     

    La place de l’école - La fille d’un lord - La bagarre

    Les seins d’Irène - L’épicier italien - Le crottin de cheval

     

     

     

     

     

     

     

     

    - Je sors un instant, continuez en silence, si je surprends quelqu’un c’est deux barres d’office et une retenue.

    Les têtes studieuses ne se relevèrent qu’au bruit de fermeture de la porte. Tout le monde comme par magie, se mit à parler, à plaisanter. C’est étonnant tout ce qu’on a à se dire lorsque le silence est imposé... Luc quitta sa place encore tout auréolé de sa gloire et se rapprocha d’Irène. Deux coupoles tendaient son petit pull tricoté. Il saisit un sein, le tâta en le soupesant, sans réaction de la propriétaire. La face ahurie de Fernand qui n’en croyait pas ses yeux l’incita à une débauche de hardiesse. Irène lui rappelait la blonde dans Rip Kirby, jusqu’au sourire mais en ce moment celui-ci semblait figé. Luc passa derrière sa chaise et lui empoigna la poitrine des deux mains. Elle tressauta, rosit et fit un petit oh!, son porte-plume en suspension. Luc regagna sa place le torse bombé, enchanté,

    - La vache, c’est doux et ferme...

    Il avait osé! Il ne se reconnaissait plus, il demanderait jeudi à la bande de lui accorder la médaille de la bravoure, enfin, s’ils voulaient bien le croire.

    Des parties de bille se poursuivaient sur la place, après l’étude. Un jour pareil, marqué par autant de chance, ne demandait qu’à se terminer en apothéose. Pour cela, il devait d’abord trouver un adversaire qui accepte de se mesurer à lui, sur la base obligatoire de “touché c’est gagné”, malgré son handicap, c’est à dire ses billes en terre cuite d’une couleur si terne. Ses quatre seules agates avaient changé de poche, à la régulière, la semaine passée. Durement gagnées, elles furent son orgueil l’espace de quelques jours. Les plus fortunés ne jouaient qu’avec des billes en verre qu’ils faisaient claquer avec ostentation. Selon eux, les billes en terre cuite faisaient pauvre, famille nombreuse.  

    Il ne restait que l’adresse et la volonté de gagner pour faire taire les considérations insultantes.

    - On fait une partie, demanda Luc aux frères Vogel.

    - Eh, tu nous prend pour des étrangers? On joue seulement avec des agates, on va pas se faire blouser par des chiques de minable!

    - Bande de dégonflés, vous êtes juste cap de jouer contre des gamins... Tenez, si vous êtes cap, je joue à un contre deux et je vous accorde une main d’avance. Vous deux contre moi, si vous refusez vous n’êtes que des vantards...

    Quelques garçons se rapprochèrent, flairant une partie d’enfer. Bernard et Henri se regardèrent indécis, ils ne pouvaient pas se dérober devant tant de témoins.

    - Dac, on y va, mais attention, on a une main d’avance.

    Ils choisirent un trou déjà creusé. Jeanjean qui venait d’arriver prêta son concours.

    - C’est moi qui trace le trait!

    Il grava dans la terre un sillon avec son talon, et sérieux comme un pape, déclara le jeu ouvert. Les deux frères lancèrent leur bille, elles moururent à environ quatre mains du trou. Luc visa à son tour, il devait virer Henri en priorité, car de toute façon, Bernard raterait une vache dans un couloir. Tout l’art résidait dans le lancer, de la force, mais mesurée, sinon la bille en terre cuite éclatait contre l’agate. Le jeu s’enchaîna, les copains gueulaient, juraient tandis que Bernard faisait triste mine et que son frère bouillait de colère. Le reste appartenait à la routine. Quand le clocher annonça six heures, Luc faisait crisser un pactole de douze agates au fond de sa poche. L’état de grâce se prolongea jusqu’à l’heure du coucher. Ses narines frémirent dès que sa sœur lui ouvrit : des crêpes aux pommes, fondantes et moelleuses au centre, craquantes sur les bords.

    Assise devant la fenêtre du balcon, plongée dans le dernier numéro de Confidences, sa mère l’appela sur un ton si rare que sa gorge se serra d’émotion.

    - Viens près de ta maman, embrasse-moi.

    Tendu et méfiant, il lui donna un rapide baiser, qu’est-ce qu’elle va dire se demanda-t-il, sur ses gardes.

    - Regarde cette photo, dis-moi franchement si elle est plus belle que moi, à ton avis?

    Elle tendit le magazine avec une nonchalance attristée. Martine Carol souriait en couverture, l’or de ses cheveux se fondait dans un flou brumeux, son regard invitait à l’adoration.

    - Tu hésites? Elle a quoi de plus que moi?

    L’irritation perçait, il fallait prendre position, enrober la réponse.

    - Tu es bien plus belle, je me demande pourquoi on en fait tout un plat, on dirait qu’elle sort d’un pot de peinture...

    Jeudi approchait, il se souvenait de la menace, ce jour sacré justifiait tous les sacrifices même si cette flatterie honteuse l’écoeurait.

    - D’ailleurs, c’est toi qui devrait être sur la couverture...

    Elle soupira, hocha la tête, le temps que se dissipe un voile de regrets et d’espoirs déçus.

    - Tu es gentil, heureusement que je t’ai, toi au moins tu comprends ta mère... Sois mignon, brosse moi les cheveux comme la dernière fois.

    Le grand jeu, pensa Luc, irrité par sa servilité, mais en même temps, il aimait brosser lentement, avec la juste pression les longs cheveux blonds. Il saisissait chaque mèche d’une main, faisait glisser la brosse jusqu’aux pointes qui se refermaient en boucle autour de ses doigts. Un instant privilégié qu’il chérissait, une cassure dans le temps, une formidable illusion, une grande émotion. Une réflexion acerbe le ramena sur terre.

    - Tu me fais mal, ce que tu peux être brute, tu as des mains de boucher!

    Pour effacer ce mouvement d’humeur, Luc imita l’épicier italien qui avait pris possession de la boutique sur le trottoir d’en face. Les jambes écartées, il marcha en se grattant les fesses.

    - Ouais, il marche comme ça, il se gratte le cul et après il coupe le gruyère et la saucisse, et quand une cliente demande de la mortadelle, il dit toujours, “Oh, elle est morte cette pauvre Adèle?”. Le garçon essayait de rendre l’accent italien au mieux tout en se dandinant et en se grattant avec frénésie. Sa mère riait aux éclats, alors il recommençait, sans oublier d’observer le volume du rire, pour apporter des variantes, ou s’arrêter avant de lasser.

    Il s’endormit  ce soir là sur des images de Tarzan et de Jane.

     

    Le soleil se hissa au-dessus des faîtières des toitures et s’empara peu à peu de la rue. Assis sur le rebord de la devanture de la mercerie, Luc claquait des dents depuis une bonne demie-heure. ( à suivre ) 

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  • La neige est arrivée, déjà 12cm! Dès 6 heures, ce matin, pelle à neige pour dégager les abords, je vous le garantis, c'est un exercice qui ravigote, juste avant le bon café... Je vous laisse avec Luc et ses états d'âme...

     

     

     

     

    La Sage de Luc (suite )

     

     

    La cérémonie initiatique - Le quartier général - LucetteElle fumait des baltos (suite)  Une chanson douce - Reine d’un

     

     

     

     

     

     

     

     

    - Ce n’est pas la faute de Luc, c’est vrai c’est pas sa faute...

    Les larmes et le sang se mélangeaient, formaient des bulles écarlates sur sa bouche, ses narines, et éclataient au fur et à mesure qu’elle parlait. La suite suivit la routine, deux gifles pour le garçon, et par égard, une seule pour la fille.

    - Lève-toi, lève-toi que je te dis, tu vas me tacher la couverture, dépêche toi, ah le désastre!

    Luc dormait lorsque Marion revint de la cuisine, il rêvait qu’il conduisait une Olsmobile en Californie et qu’il traquait une blonde sulfureuse. A quoi pouvait bien ressembler une blonde sulfureuse? Il n’en avait aucune idée, mais d’après les réflexions du détective, ça devait être sacrément chouette.

    Il se réveillait parfois la nuit, restait les yeux grands ouverts dans le noir atténué par l’éclairage qui s’insinuait à travers les fentes des persiennes. Quand une rare automobile passait, si les petites stries au plafond se mouvaient de droite à gauche, l’auto descendait la rue, dans l’autre sens elle montait.

    Certains bruits nocturnes le captivaient, comme les gouttes de pluie sur les tuiles, ou, lorsqu’il pleuvait à verse, le grondement de cataracte dans la gouttière, juste à coté de la fenêtre. Il attachait un maximum de mystère au claquement de talons de femme sur le trottoir, parfois calmes, posés, de l’allure de quelqu’un qui a toute la vie devant soi et qui se plaît dans l’obscurité de la rue déserte. Mais le plus souvent, les talons claquaient comme autant de coups de carabine à plombs, nerveux, rapides, ils s’emballaient parfois, peut-être qu’elle se tordait la cheville? Qui était-ce? Où allait-elle? Elle avait certainement peur, peur de rentrer chez elle? Peur de la nuit?

    Deviner l’heure appartenait aussi à ses passe-temps nocturnes. Un coup pour le quart d’heure, deux pour la demie et trois pour moins le quart. Mais de quelle heure? Malgré sa volonté de savoir, il lui arrivait souvent de s’endormir avant d’avoir compté chaque coup. Sa mère par contre, ne semblait pas avoir de difficulté pour connaître l’heure, elle aurait passé un contrat avec le curé que cela ne l’aurait pas étonné, tant sa volonté de nuire était forte. A sept heures moins le quart précises, elle venait le tirer hors du lit, s’assurait qu’il se levait et allait se recoucher. La toilette se limitait à un peu d’eau sur le visage et les mains, puis la tournée pouvait commencer. Premier arrêt chez le laitier qui remplissait le bidon en aluminium avec une mesure d’un litre plongée dans un gros bidon cabossé. Descente de la rue, virage à gauche et deuxième arrêt à la boulangerie qui ressemblait à un cocon de chaleur et d’odeurs de pain cuit. Il achetait un grand pain le plus couvert de farine pour  la lécher sur le chemin du retour. Sa politesse chez les commerçants lui valait des avantages, chez le boucher, une tranche de saucisse de viande, chez la boulangère, un caramel. Les jours où elle était de bonne humeur, elle lui tendait un morceau de levure délicieuse, aigre et onctueuse à la fois. Le dernier arrêt était le plus important. Il achetait le journal au tabac-presse.

    Comme il était un des premiers clients, le buraliste faisait encore des allées et venues entre son arrière-boutique et l’étalage. Le garçon devait souvent patienter devant le comptoir, les deux mains volontairement enfoncées dans les poches, après avoir posé son pain et son lait. Le buraliste revenait parfois plus vite pour jeter un regard méfiant, car les bonbons et les chewing-gums s’étalaient bien en vue des clients. Luc en avait pris son parti, il acceptait ce doute insultant, en représailles, son bonjour en entrant resterait à jamais un vague grognement. Une fois dans la rue, il avalait les titres de la première page, entre deux coups de langue, ensuite, il s’arrêtait devant la vitrine close du coiffeur pour poser le bidon de lait et le pain sur le rebord afin de pouvoir déplier les pages. Il lisait en priorité les bandes dessinées, “ Blondie et Dagwood “ et “ Rip Kirby “ , il devait convenir qu’il avait un faible pour la méchante, celle avec les cheveux noirs.

    Luc faisait bouillir le lait en priant qu’il ne déborde pas pendant qu’il s’absorbait dans les articles sur la guerre d’Indochine. Marion dressait la table. Une fois le café au lait versé dans les bols, le garçon allait frapper à la porte de la chambre de sa mère pour annoncer “C’est prêt”. Maurice, lui, partait beaucoup plus tôt à l’usine.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    La place de l’école - La fille d’un lord - La bagarre

    Les seins d’Irène - L’épicier italien - Le crottin de cheval

     

     

     

    - Salut protège-cahier!

    - Va te faire cuire un œuf crétin!

    L’éclat de rire un peu forcé, des deux cotés de la rue marquait le début de la journée. Gaston Hamel qui habitait l’immeuble contigu à la boucherie saluait ainsi Luc chaque matin avant de tourner à gauche par la rue Saint-Bernard pour rejoindre l’école catholique. Pour la majorité des enfants du quartier, catholiques, la poignée de protestants devait supporter les  “Protège-cahiers”, ou “Parpaillots”, sans que cela fût considéré comme une injure par les initiateurs, mais il fallait bien marquer la différence. 

    L’école protestante se dressait au fond de la grande place, à quelques enjambées de chez lui, juste après l’arrêt du bus et du magasin de chaussures. Bordée à sa base par trois hauts marronniers et un bâtiment en planches de la Croix Rouge, la place offrait sur sa gauche l’endroit le plus prisé pour les parties de billes. Des jardins grillagés à la limite, avec des arbres fruitiers, hélas trop en retrait, couraient le long du coté droit. De magnifiques roses trémières se dressaient tout près du grillage, et depuis que Jeanjean avait déclaré sur un ton péremptoire qu’il s’agissait de plants de tabac, les enfants se contorsionnaient aussi loin que possible pour arracher les fleurs, les rouler dans du papier journal et les fumer dans le quartier général. Ils toussaient, pleuraient, crachaient, ils affirmaient cependant unanimes : c’est du bon, peut-être même meilleur que des américaines.

    Des groupes s’étaient formés. Le cœur battant, Luc repéra de loin Gabrielle qui occupait depuis la rentrée une grande partie de ses rêves. Svelte, fine, habillée de vêtements de qualité, superbe avec ses anglaises châtain et son col blanc, elle se tenait à l’écart, un peu hautaine. Luc devint chef de pirates après avoir vu un film sur la flibuste, il abordait un vaisseau anglais, ne faisait pas de quartier, et enlevait la fille d’un Lord, qui n’était autre que Gabrielle. Elle conservait son attitude méprisante au début, lui crachait au visage et jurait de se donner la mort s’il avait l’impudence de la toucher. Il décida pour gagner son amour de se montrer moins cruel dès le prochain abordage, de ne plus trancher les têtes et les mains, d’accorder la vie sauve aux plus braves. Hélas, tous ses efforts restaient vains et se heurtaient à un mur de glace. A l’occasion d’un autre abordage, un marin anglais sans honneur lui déchargea son pistolet dans le dos. Il s’écroulait dans son rêve provoqué, sa belle chemise blanche à jabot de dentelles éclaboussée de sang. Et là, enfin, le miracle s’opérait. Gabrielle se précipitait à travers les salves, hurlant de désespoir,s’agenouillait, le prenait dans ses bras, lui couvrait le visage de baisers, lui criait qu’elle l’aimait, qu’elle ne saurait lui survivre. Tous les marins formaient un cercle silencieux, émus par cette scène si poignante. Luc, le héros, mourrait alors, un sourire satisfait sur les lèvres, surtout que ces chiens d’Anglais présentaient les armes. ( à suivre ) 

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  • Bonjour à tout le monde!

    Avez-vous bien suivi ces garnements dans leurs folles périgrinations Qu'en pensez-vous? Il y a la rue et les copains, là où tout est presque possible, pour des gamins, puis il faut rentrer chez soi... Les rêves fous s'arrêtent dès avoir franchi la porte de l'appartement... Les dures réalités...

     

     

     

    Elle fumait des Baltos (suite)

     

     

    La cérémonie initiatique - Le quartier général - LucetteElle fumait des baltos (suite)  Une chanson douce - Reine d’un

    jour. 

     

     

     

     

    Ils jurèrent en cœur.

    - Même sous la pire des tortures!

    - Oui, nous le jurons!

    L’horloge de l’église se fit entendre. Trois coups, quatre, une heure pleine. Ils comptèrent les coups suivants. Les visages se tendirent. Que ce soit l’un ou l’autre, tout dépassement d’horaire se voyait sévèrement sanctionné dès le retour chez soi.

    - Sept heures! Il faut que j’y aille, salut les mecs!

    Jeanjean, Pinpin et Luc se regardèrent en silence, la fatalité les écrasait. Encore un jeudi de terminé, les dures réalités de la vie reprenaient leur cours. Épaules tassées, les mains enfoncées dans les poches, ils arrivèrent au pied de l’immeuble. Les deux frères habitaient au premier, Luc au troisième. Ils se balancèrent sur place, désolés de se quitter.

    - Eh, chuchota Pinpin, vous avez vu la Lucienne, la sœur de Jean-Claude, le gros ventre qu’elle a? Elle a mangé trop de choux et elle arrive pas à péter?

    - T’es cloche ou quoi? Elle est enceinte, c’est tout, et c’est pour bientôt quand le ventre est tout pointu.

    - Ouais, t’as raison, répondit Jeanjean sur le ton de celui qui savait des choses.

    - Ça veut dire quoi enceinte, demanda Pinpin.

    - Ben, qu’elle attend un enfant pardi! Qu’il est nunuche ce Pinpin!

    - Ouais, je sais aussi par où ils sortent, ma mère me l’a dit, mais c’est un secret ajouta Jeanjean qui jeta un regard furtif aux alentours.

    Moqueur, Luc lui demanda,

    - Et c’est quoi le secret?

    De toute évidence , le secret pesait trop lourd et Jeanjean ne pouvait pas le garder.

    - Ben, et ça je le jure que c’est vrai, les garçons sortent par les oreilles et les filles par le nez...

    - Tu es complètement louf! Tu ne vas pas me dire que tu as gobé ces conneries?

    Jeanjean toisa le chef, furieux.

    - Tu peux bien faire le malin, si c’est pas vrai, alors c’est comment? Par la bouche peut-être? Et les dents, tu en fais quoi rigolo!

    - Écoute Jeanjean, ou bien tu es vraiment con, ou tu le fais exprès! Neuf ans et être aussi fêlé, tu me fais honte! C’est par la zézette, entre les jambes qu’ils sortent les bébés, fleur d’épinard!

    Stupéfait, Jeanjean bégaya,

    - Tu veux dire que je suis sorti par la zézette de ma mère? Sale menteur!

    Il brailla sans attendre une réponse,

    - Mman! Mman!

    Sa mère arriva tout de suite sur le balcon, elle se pencha, regarda si ses enfants étaient entiers,

    - Quoi encore? Tu es fou de crier si fort!

    Jeanjean explosa en larmes.

    - Il m’a dit que je sortais de ta zézette!

    - Oh Luc! Petit saligaud! Quelle honte, raconter des choses pareilles à mes petits! Je vais le dire à ta mère, et vous deux, rentrez! Quel déluré celui-là!

    Le père Raker sortit sur le pas de son magasin.

    - En voilà du tapage mes garçons, attention, un de ces jours je vais vous tailler les oreilles en pointe. Ah on voit bien que vous n’avez pas connu la guerre...

    Oui, le jeudi était bel et bien mort...

    Luc grimpa les trois étages en essayant une nouvelle technique pour avaler les marches quatre à quatre. Des odeurs diverses flottaient dans la cage d’escaliers et lui rappelèrent sa faim. Il analysa sans peine chaque étage. La porte des Rivaud, les parents de Jeanjean, délivrait un mélange bizarre où dominait un relent de graillon. La porte en face, celle des Raker, laissait passer des effluves de soupe pour chien, pour leur saleté de Bobette sûrement, et eux, ils devaient sucer leurs pelotes de laine. Au deuxième, impossible de rater la porte de la mère Michel et son odeur tenace de pommes de terre rôties aux oignons! Ils les mangeaient trempées dans un bol de lait froid, pouah! L’appartement des Martin enlevait la palme. Des fumets de ragoût mijoté titillait les papilles et remplissait les yeux. Luc restait parfois assis sur une marche pour respirer l’odeur porteuse du discret parfum de la feuille de laurier, il imaginait sans peine la viande trembler au fond d’une cocotte noire. Et puis le troisième. Il sut immédiatement que les crêpes aux pommes de terre se présentaient au rendez-vous hebdomadaire. La porte en face, restait froide, anonyme. Luc ne se souvenait pas avoir vu le locataire, mais se remémorait des chuchotements où il était là aussi question de collaboration, d’épuration.

    Marion, sa sœur, lui ouvrit, un sourire satisfait sur les lèvres.

    - Salut grand chef, qu’est-ce que tu vas te faire engueuler...

    Luc se fit tout miel. Ce n’était qu’une pisseuse, de quatre ans sa cadette, mais se renseigner sur les motifs de l’engueulade et s’y préparer valait bien un sacrifice.

    - T’es presque pas moche ce soir, et j’ai fait quoi encore?

    - Quand tu as lavé la vaisselle ce midi, tu as oublié de dire que tu avais cassé une assiette...

    Elle se régalait, ça se voyait, la punaise!

    - Oh ça va, elle a glissé toute seule, ça arrive, non?.

    - Ah bon? Et pourquoi tu as caché les morceaux au fond de la friteuse, hein?

    Aïe, l’histoire s’annonçait mal... Comment a-t-elle pu voir les morceaux au fond de l’huile presque noire? se demanda Luc, j’aurais dû mettre les morceaux dans mes poches et tout balancer dehors...

    Il claqua la porte et avança d’un pas décidé, face au danger pour en finir au plus vite. Il entra dans la cuisine en sifflotant. Sa mère tenait une casserole d’une main, de l’autre elle remuait le potage avec une longue spatule en bois. Elle lâcha la casserole, envoya une gifle bien dosée d’une main, tandis que l’autre voulut cingler les fesses de son fils avec la spatule. Le manche se cassa, ce qui lui valut une seconde gifle, mieux appliquée, plus brûlante.

    - Tu  mets la table, et que ça ne traîne pas! Je me demande ce qui me retient de te mettre en maison de correction, ou aux enfants de troupe! Dépêche toi!

    Les joues en feu, la fesse meurtrie, Luc se dirigea en claudiquant vers le buffet, les mâchoires serrées. Non, il ne pleurerait pas. Sa mère serait trop contente s’il le faisait. Il savait aussi qu’elle se sentait frustrée s’il ne bronchait pas, s’il ne se défendait pas, et sa frustration faisait monter sa colère d’un cran. Pendant longtemps, un martinet bien garni en lanières de cuir se trouvait en permanence accroché dans l’entrée, gardien bien visible de l’Autorité. Avec le temps, Luc avait appris à se dominer et à encaisser les gifles et les coups sur les fesses, mais pas le martinet. Dès le deuxième coup, la morsure des lanières lui arrachait des cris qu’il ne pouvait retenir. Il eut un jour une idée lumineuse, attendit d’être seul, et armé d’une paire de ciseaux, administra une coupe à la brosse à l’instrument de torture. Il n’en resta plus que le manche et un moignon ridicule. La réaction de sa mère fut terrible. L’épais manche en bois ne résista pas et se brisa sur le dos du garçon qui ne cria pas, à peine acorda-t-il un gémissement rauque.

    Il distribua les assiettes.

    - Sale tête de pioche, je vais te faire filer droit... Tiens, jeudi prochain tu ne sortiras pas, ça te fera des pieds!

    Il faisait encore jour, cette fin de mai semblait magique. Des bouffées de lilas supplantaient selon le sens de la brise les odeurs évacuées par les fenêtres des cuisines, les reflets dorés du soleil sur les façades donnait un air de fête et de bonheur.

    Les martinets encerclaient le bloc d’immeubles en une valse effrénée. Arrivés à l’angle du dernier bâtiment, ils plongeaient en piaillant à tue-tête, viraient, remontaient et replongeaient à l’autre extrémité. La table mise, chacun prit sa place en silence. Maurice saisit le pain, traça une croix avec son couteau et coupa plusieurs tranches. La mère servit le bouillon aux vermicelles . Marion souffla avec force sur sa cuillère et projeta des gouttes sur la nappe en toile cirée. Elle reçut une gifle de sa mère qui laissa des traces rouges de doigts sur sa joue. Ses larmes coulèrent de part et d’autre du menton, se gonflèrent et  tombèrent dans l’assiette. Luc remarqua avec intérêt que les larmes de droite produisaient un “floc” plus sourd que celles de gauche. Il regarda Maurice et demanda,

    - Je peux avoir du pain?

    - Tu dis, s’il te plaît papa, gronda sa mère.

    Luc baissa la tête. Non, je ne dirai pas papa à ce type, je préfère crever de faim, je ne l’aime pas, et il n’est pas mon père...

    - Sale tête de cochon! Tu vas dire papa! Ou alors tu n’auras rien à manger!

    Elle leva une main menaçante.

    - Non, Nounou, laisse, ça ne fait rien... Allez, laisse...

    Il tendit une tranche à Luc en appuyant son geste d’un sourire amical. Le garçon la saisit sans un mot.

    - Je peux en avoir une tranche, papa, demanda Marion.

    La sale bête fulmina Luc, elle fayote, ça se payera. Il savait très bien que celui-là n’était pas son père, même s’il n’avait aucun souvenir du “vrai”. Des allusions, des regards le lui avaient fait comprendre. Par contre, il ne se souvenait pas quand et comment ce type était arrivé et se félicitait pour s’être arrangé jusqu’à présent à ne pas prononcer ce “papa” coincé au fond de la gorge. Non pas que Maurice fût méchant, au contraire, il s’évertuait à faire plaisir au garçon, lui avait fabriqué un garage peint en bleu, avec de vraies portes qui s’ouvraient. Il lui avait dernièrement coulé toute une série de cavaliers en plomb, presque une armée... Il avait aussi promis de lui confectionner un étui pour son Colt, en vrai cuir, avec des franges et des rivets en laiton. Tout cela ne pouvait être et ne serait jamais suffisant pour l’appeler papa. C’était déjà bien assez pénible d’avoir à lui effleurer la joue midi et soir et de grommeler bonjour et bonsoir. Maurice lui donnait parfois des bises énergiques, et il devait raidir la nuque pour masquer sa répulsion, surtout lorsque les lèvres humides laissaient des traces baveuses.

    Henri Salvador chantait “ Une chanson douce que me chantait ma maman”. Luc écouta, triste et envieux. Ce qu’elle devait être gentille cette maman, avec un cœur et des yeux illuminés par un tendre sourire, pourquoi pas moi? pensa le garçon.

    - Tu rêves ou quoi? Je t’ai demandé d’aller chercher du vin, magne toi...

    Luc sursauta, sa mère le fusillait du regard. Il se leva, alla dans le cagibi où se trouvent la gazinière, l’évier et le placard. Il prit une bouteille pleine, tirée à la pompe, la déboucha, but une gorgée au goulot, en versa un peu dans l’évier et compléta le vide au robinet. C’était sa manière de se venger.

    - Alors, ça vient?

    A présent, Jean Nohain annonçait l’émission “Reine d’un Jour”. C’était formidable, surtout à la fin où tous les cadeaux étaient offerts à la reine. Comme à chaque fois, sa mère ne tenait pas en place à l’énoncé des merveilles. Elle ne pouvait s’empêcher de remarquer sur un ton acerbe à l’attention de Maurice,

    - Ce n’est pas toi qui pourrait m’offrir tout ça...

    Et cet imbécile qui prenait un air douloureusement peiné, comme un martyre.

    - Nounou, tu en auras, tu verras, je ferai des heures supplémentaires.

    La fin de l’émission annonçait l’heure de se coucher. Les deux enfants devaient desservir la table et balayer auparavant. Luc et sa sœur dormaient dans le même lit, dans la salle à manger sur ce qu’on appelait un cosy. Deux étagères sur le coté du mur faisaient bibliothèque, entièrement garnies de romans de la Série Noire. Luc n’avait pas encore dix ans, mais les James Hadley Chase et les Peter Cheney n’avaient plus de secrets pour lui. Cette mine d’or tendait les bras et ne demandait qu’à être saisie. Grâce aux oreillons, il avait pu en lire sept, connaissait tous les héros et se promettait de devenir un détective privé, plus tard. La varicelle, la coqueluche eurent raison du restant des romans, il se faisait donc du souci pour sa prochaine maladie. Il devrait se rabattre sur les romans d’amour du Confidences de sa mère, et chaque fois en négocier le prêt. 

    Deux grands vases complices des jeux des deux enfants trônaient sur les étagères, en céramique rehaussée de roses en relief sur fond bleu. Toujours partante pour rire ou faire semblant d’être terrorisée dans le noir, Marion gigotait dans le lit jusqu’à ce que les vases tremblent et balancent sur leur base. Avec le rythme adéquat, les vases se dandinaient et frappaient le bois de l’étagère en produisant le son de pas lourds. Dans le noir et le silence de la pièce, ces bruits avaient parfois tendance à devenir trop réels. Une fois, Luc sentit que sa sœur était mûre, il insista sur les détails d’un meurtre où la femme fut retrouvée découpée en morceaux. Marion réagit avec trop de fougue. Un vase bascula, la rose en relief se planta dans son front. Le hurlement de douleur provoqua une arrivée en trombe de leur mère. Elle alluma le plafonnier et poussa un cri.

    - Oh! Mon vase! Petits saligauds!

    La moitié du visage de Marion ensanglanté maculait l’oreiller d’un rouge effrayant, ses pleurs redoublèrent en voyant les gouttes de sang couler sur ses mains. Elle voulut parler, par saccades,

    - Ce n’est pas la faute de Luc, c’est vrai c’est pas sa faute... ( à suivre )

     

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