• Tu connais, toi, le marchand de sable?

     

    Tu connais, toi, le marchand de sable?

     

    Tu connais, toi, le marchand de sable ?

     

     

     

    • Je crois qu’il est temps, pour toi, d’aller te coucher. On y va !

    • Je voulais encore lire un peu, mais j’ai les yeux qui piquent.

    • Justement. Cela veut dire que le marchand de sable est passé, alors, on va l’écouter.

    • C’est vraiment un marchand ? Et il vend du sable ? Et il le jette dans les yeux des enfants pour qu’ils aillent se coucher ? Et combien ça coûte ?

    • Oh la la ! Que de questions ! Il est un peu tard pour y répondre. D’ailleurs, demain, tu passeras la journée chez grand-mère, tu lui demanderas tout ce que tu veux. Elle a le temps et les réponses pour les petits garçons curieux.

    • Bonne nuit maman.

     

          Il adorait l’entrée de l’appartement, le vestibule, disait la grand-mère. Il y avait là deux commodes ventrues, avec des tiroirs remplis de tous ces objets hétéroclites dont on ne sait pas se débarrasser. Rien que des trésors. Il y avait aussi cette odeur généreuse de cire d’abeille qui gorgeait tous les pores d’un bois au moins centenaire, à cela s’ajoutait la senteur douçâtre d’un vase rempli de pétales de roses.

     

    • Déjà à la chasse au trésor dans mes tiroirs ? Tu ne les as pas encore assez visités ?

    • Non mamy, chaque fois je les range autrement, tu vois ?

    • Oui, je vois, mais si toi tu appelles ça ranger…

    • Dis mamy, elle sent drôlement bon ta brioche, pourquoi il faut attendre qu’elle refroidisse ? Je peux en avoir un morceau ? Juste un petit bout, tu veux ?

    • Je te réponds non, parce que tu seras très heureux de la trouver entière demain, pour le petit déjeuner. De plus, tu t’es déjà brossé les dents, ce qui veut dire qu’il est temps d’aller se coucher.

    • Oh mamy, s’il te plait, tu me parles du marchand de sable ? Maman m’a dit que tu connaissais l’histoire. Dis, tu veux bien ?

    • Je crois bien qu’il est passé, non ? Je vois bien que tes yeux clignotent…

    • Non mamy, c’est drôle, quand je suis chez toi, les yeux ne me piquent pas, alors, dis, tu me racontes ? Peut-être qu’il ne passe pas ici, peut-être qu’il ne va pas chez les mamys ?

    • Tu es un petit futé toi, tu crois vraiment qu’il ne va pas chez les mamys ? C’est pour m’obliger à te raconter une histoire, c’est ça ?

    • Je t’en prie mamy…

    • Bon, d’accord, comme tu es un gentil garçon… Allez, hop ! Tu vois que je dois encore te pousser pour grimper dans le lit !

       

       

       

       

      C’était un lit à l’ancienne, qui prenait toute la place entre une commode et une armoire à glace, haut sur pieds, avec un épais matelas. Un lit dans lequel il fallait monter, pour un enfant. L’édredon, gonflé de plumes, prodiguait une douce chaleur dans la chambre sans chauffage et ne laissait dépasser qu’une touffe de cheveux, une fois le garçon endormi.

      -          Maintenant, mamy, tu peux me raconter l’histoire du marchand de sable. Je t’écoute.

      -          Tu sais ce que c’est un sablier, oui, puisque tu t’amuses à tourner celui à côté de la gazinière.

      -          Oui, je sais. C’est pour les œufs à la coque. C’est du sable très fin qui coule, et quand tout est passé, les œufs sont prêts.

      -          C’est ça. C’est un sablier qui sert à compter le temps qui passe.

      -          Tu l’as acheté au marchand de sable ? C’est ça l’histoire ?

      -          Mais non, ce n’est pas ça l’histoire. Maintenant écoute.

      -          Je t’écoute, mamy.

      -          Tu aimes les histoires qui commencent par « Il était une fois » ?

      -          Oh mamy, ce sont celles que je préfère, tu les racontes si bien !

      -          Bon. Tu sais ce que ça veut dire loin, très loin ? Tu dis toujours quand tu vas chez ton oncle que c’est très loin. Eh bien, mon histoire se passe encore plus loin. Tu as compris ?

      -          Oui mamy, raconte, je t’en prie. Il était une fois, un pays lointain où il n’y avait pas de montre, pas d’horloge.

      -          Ils faisaient comment les gens, pour savoir l’heure ?

      -          Eh bien, ils avaient trouvé un moyen astucieux. Un jeune homme était désigné chaque année pour donner l’heure aux habitants.

      -          Comment ça ? Comment il faisait puisqu’il n’avait pas de montre ?

      -          Si tu m’interromps sans cesse, je ne dis plus rien.

      -          Oh mamy, je t’en prie, je me tais !

      -          Le jeune homme allait dans la montagne, là où on pouvait le voir de partout, depuis la vallée. Il s’installait à côté d’un tas de sable très fin, en prenait une poignée et le laissait couler doucement, entre ses doigts. Chaque fois qu’il avait rempli un pot en terre cuite, il changeait de bonnet, un bonnet d’une autre couleur.

      -          Il changeait de bonnet ? Pour quoi faire ?

      -          C’est très simple. Au fur et à mesure que les heures s’écoulaient, c’est-à-dire, à chaque fois qu’un pot en terre était rempli, il se coiffait avec un bonnet d’une autre couleur

      -          Il lui fallait beaucoup de bonnets !

      -          Ne t’en fais pas, il en avait beaucoup. Toutes les jeunes filles de la vallée se battaient pour les tricoter. Il coiffait le premier dès le chant du coq, et le dernier, une fois que la dernière poule était rentrée.

      -         Comme ça les gens voyaient la couleur, et ils savaient l’heure !

      -         Exactement, tu as bien compris.

      -         Elle est finie l’histoire ?

      -   Non. Tu sais, la montagne est parfois dangereuse, et le jeune homme a eu un accident…

      -   Oh non mamy ! Je ne veux pas ! … raconte, mamy.

      -   Un après-midi, il vit la neige fondre au soleil et, l’herbe verte se dresser juste devant ses pieds. Et qu’est-ce qui s’éleva au milieu de cette herbe ? Eh bien, rien de moins qu’une fleur magnifique, une fleur qui porte bonheur : un edelweiss !

      -   Ouf, je suis content pour lui, mais ça, ce n’est pas un accident ?

      -  Non. Vois-tu, il se pencha pour cueillir la fleur qu’il offrirait à sa fiancée, mais il n’arrivait pas à l’atteindre. Il devait se pencher un peu plus. Ce qu’il fit, et il glissa, glissa sur la neige, sans pouvoir se retenir. Il tomba dans une crevasse, mais heureusement, il tenait toujours l’edelweiss entre ses doigts.

      -   Il s’est fait mal, mamy ?

      -   Non, l’edelweiss lui avait vraiment porté bonheur. Il ne s’était pas blessé, et en plus, il réussit à se hisser hors de la crevasse.

      -   Tu m’as fait peur mamy ! Elle est finie maintenant l’histoire ?

      -  Non, encore pas. Toutes les jeunes femmes de la vallée avaient peur pour leur fiancé, seul dans la montagne et ses dangers. L’une de ces jeunes femmes, la plus dégourdie, avait entendu parler d’une chose qui donnait l’heure.

      -   Ouah, c’était quoi ?

      -   Eh bien, plus loin, dans une autre vallée, le forgeron du village avait planté une barre dans le mur, à l’entrée de sa forge, pour y accrocher le pot à lait qu’il devait emporter le soir. Le forgeron qui réfléchissait à un problème, constata que le soleil projetait l’ombre de la barre sur le mur, et que l’ombre se déplaçait en fonction du moment de la journée. Il avait découvert l’horloge solaire !

      -   Je sais mamy ! Les jeunes femmes ont fait la même chose dans leur village ! Les fiancés n’avaient plus besoin d’aller dans la montagne !

      -   Oui, mais ils avaient besoin de dormir, comme toi !

      -   Mais le marchand de sable, dans cette histoire, je ne le vois pas !

      -  C’est très simple, comme il n’avait plus de sable à livrer dans la montagne, les gens de la vallée lui ont demandé de les aider à endormir les enfants, et c’est ce qu’il fait, tous les soirs !

      -   Bonne nuit mamy, tu me raconteras une autre histoire ?

       

       

      Gérard Stell

          

       

       

     

     

     

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    Jeudi 19 Mai 2022 à 21:34
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