• Les jours se suivent et ne se ressemblent pas. Il neige encore, déjà plus de 30cm. Le chasse-neige va bientôt passer, enfin, je l'espère... C'est une journée à "buller", à lire et à écouter Accent 4, la radio classique qui consacre toute la journée à La Callas, sa vie et tous les extraits de ses opéras... Le bonheur...

     

     

     

     

     

    La Saga de Luc (suite )

     

     

     

     

    La place de l’école - La fille d’un lord - La bagarre

    Les seins d’Irène - L’épicier italien - Le crottin de cheval

     

     

     

     

     

     

     

     

    - Je sors un instant, continuez en silence, si je surprends quelqu’un c’est deux barres d’office et une retenue.

    Les têtes studieuses ne se relevèrent qu’au bruit de fermeture de la porte. Tout le monde comme par magie, se mit à parler, à plaisanter. C’est étonnant tout ce qu’on a à se dire lorsque le silence est imposé... Luc quitta sa place encore tout auréolé de sa gloire et se rapprocha d’Irène. Deux coupoles tendaient son petit pull tricoté. Il saisit un sein, le tâta en le soupesant, sans réaction de la propriétaire. La face ahurie de Fernand qui n’en croyait pas ses yeux l’incita à une débauche de hardiesse. Irène lui rappelait la blonde dans Rip Kirby, jusqu’au sourire mais en ce moment celui-ci semblait figé. Luc passa derrière sa chaise et lui empoigna la poitrine des deux mains. Elle tressauta, rosit et fit un petit oh!, son porte-plume en suspension. Luc regagna sa place le torse bombé, enchanté,

    - La vache, c’est doux et ferme...

    Il avait osé! Il ne se reconnaissait plus, il demanderait jeudi à la bande de lui accorder la médaille de la bravoure, enfin, s’ils voulaient bien le croire.

    Des parties de bille se poursuivaient sur la place, après l’étude. Un jour pareil, marqué par autant de chance, ne demandait qu’à se terminer en apothéose. Pour cela, il devait d’abord trouver un adversaire qui accepte de se mesurer à lui, sur la base obligatoire de “touché c’est gagné”, malgré son handicap, c’est à dire ses billes en terre cuite d’une couleur si terne. Ses quatre seules agates avaient changé de poche, à la régulière, la semaine passée. Durement gagnées, elles furent son orgueil l’espace de quelques jours. Les plus fortunés ne jouaient qu’avec des billes en verre qu’ils faisaient claquer avec ostentation. Selon eux, les billes en terre cuite faisaient pauvre, famille nombreuse.  

    Il ne restait que l’adresse et la volonté de gagner pour faire taire les considérations insultantes.

    - On fait une partie, demanda Luc aux frères Vogel.

    - Eh, tu nous prend pour des étrangers? On joue seulement avec des agates, on va pas se faire blouser par des chiques de minable!

    - Bande de dégonflés, vous êtes juste cap de jouer contre des gamins... Tenez, si vous êtes cap, je joue à un contre deux et je vous accorde une main d’avance. Vous deux contre moi, si vous refusez vous n’êtes que des vantards...

    Quelques garçons se rapprochèrent, flairant une partie d’enfer. Bernard et Henri se regardèrent indécis, ils ne pouvaient pas se dérober devant tant de témoins.

    - Dac, on y va, mais attention, on a une main d’avance.

    Ils choisirent un trou déjà creusé. Jeanjean qui venait d’arriver prêta son concours.

    - C’est moi qui trace le trait!

    Il grava dans la terre un sillon avec son talon, et sérieux comme un pape, déclara le jeu ouvert. Les deux frères lancèrent leur bille, elles moururent à environ quatre mains du trou. Luc visa à son tour, il devait virer Henri en priorité, car de toute façon, Bernard raterait une vache dans un couloir. Tout l’art résidait dans le lancer, de la force, mais mesurée, sinon la bille en terre cuite éclatait contre l’agate. Le jeu s’enchaîna, les copains gueulaient, juraient tandis que Bernard faisait triste mine et que son frère bouillait de colère. Le reste appartenait à la routine. Quand le clocher annonça six heures, Luc faisait crisser un pactole de douze agates au fond de sa poche. L’état de grâce se prolongea jusqu’à l’heure du coucher. Ses narines frémirent dès que sa sœur lui ouvrit : des crêpes aux pommes, fondantes et moelleuses au centre, craquantes sur les bords.

    Assise devant la fenêtre du balcon, plongée dans le dernier numéro de Confidences, sa mère l’appela sur un ton si rare que sa gorge se serra d’émotion.

    - Viens près de ta maman, embrasse-moi.

    Tendu et méfiant, il lui donna un rapide baiser, qu’est-ce qu’elle va dire se demanda-t-il, sur ses gardes.

    - Regarde cette photo, dis-moi franchement si elle est plus belle que moi, à ton avis?

    Elle tendit le magazine avec une nonchalance attristée. Martine Carol souriait en couverture, l’or de ses cheveux se fondait dans un flou brumeux, son regard invitait à l’adoration.

    - Tu hésites? Elle a quoi de plus que moi?

    L’irritation perçait, il fallait prendre position, enrober la réponse.

    - Tu es bien plus belle, je me demande pourquoi on en fait tout un plat, on dirait qu’elle sort d’un pot de peinture...

    Jeudi approchait, il se souvenait de la menace, ce jour sacré justifiait tous les sacrifices même si cette flatterie honteuse l’écoeurait.

    - D’ailleurs, c’est toi qui devrait être sur la couverture...

    Elle soupira, hocha la tête, le temps que se dissipe un voile de regrets et d’espoirs déçus.

    - Tu es gentil, heureusement que je t’ai, toi au moins tu comprends ta mère... Sois mignon, brosse moi les cheveux comme la dernière fois.

    Le grand jeu, pensa Luc, irrité par sa servilité, mais en même temps, il aimait brosser lentement, avec la juste pression les longs cheveux blonds. Il saisissait chaque mèche d’une main, faisait glisser la brosse jusqu’aux pointes qui se refermaient en boucle autour de ses doigts. Un instant privilégié qu’il chérissait, une cassure dans le temps, une formidable illusion, une grande émotion. Une réflexion acerbe le ramena sur terre.

    - Tu me fais mal, ce que tu peux être brute, tu as des mains de boucher!

    Pour effacer ce mouvement d’humeur, Luc imita l’épicier italien qui avait pris possession de la boutique sur le trottoir d’en face. Les jambes écartées, il marcha en se grattant les fesses.

    - Ouais, il marche comme ça, il se gratte le cul et après il coupe le gruyère et la saucisse, et quand une cliente demande de la mortadelle, il dit toujours, “Oh, elle est morte cette pauvre Adèle?”. Le garçon essayait de rendre l’accent italien au mieux tout en se dandinant et en se grattant avec frénésie. Sa mère riait aux éclats, alors il recommençait, sans oublier d’observer le volume du rire, pour apporter des variantes, ou s’arrêter avant de lasser.

    Il s’endormit  ce soir là sur des images de Tarzan et de Jane.

     

    Le soleil se hissa au-dessus des faîtières des toitures et s’empara peu à peu de la rue. Assis sur le rebord de la devanture de la mercerie, Luc claquait des dents depuis une bonne demie-heure. ( à suivre ) 

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