• Truite au bleu et Riesling...

    Que c'est bon une truite au bleu!! Surtout lorsqu'elles sont pêchées fraiches du vivier de la maison.... Avec un beau beurre blanc, et, un Riesling bien frappé... Bon appétit...

     

     

     

     

     

    La truite du Devin

     

     

     

     

    La nuit tombait rapidement, comme si une main invisible avait tiré un rideau. Une brume de sol rampait depuis la vallée d’une façon un peu sournoise. Elle prenait les pentes couvertes de sapins dans une étreinte ouatée silencieuse et progressait lentement en roulant d’arbre en arbre. L’étang du Devin dormait déjà sous une fine couche de brume accrochée aux linaigrettes.

    Une silhouette à peine esquissée dans le blanc laiteux gravissait la pente à pas comptés. Parfois apparaissait un chapeau noir à larges bords, suivi d’épaules, le tout disparaissant au pas suivant, happé par une brume à l’humeur capricieuse. Ce pan de la montagne, plus protégé, dégagea la silhouette de sa gangue. C’était un homme grand, couvert d’une cape noire qui recouvrait un sac à dos. Chaque pas était ponctué par le bout ferré de son bâton de marche. Un sourire se dessina sur des lèvres bordées d’une épaisse barbe rousse, lorsque ses yeux discernèrent une faible lueur orange, tout au bout du chemin. Il soupira de contentement comme si l’apparition était le but de sa marche. La cheminée de la petite maison rabattait de bonnes odeurs de bois ainsi que des effluves de soupe mijotée.

    Il frappa deux fois contre l’épaisse porte en chêne. Il attendit un instant et s’apprêtait à frapper de nouveau lorsque la porte s’ouvrit. Une femme dont le contour était ciselé par les flammes orangées de la cheminée, s’avança d’un pas.

    - Bonsoir Anselme, c’est toi qui ramène ce brouillard ? Entre donc.

    - Je te souhaite le bonsoir Marie, tant pis pour le brouillard qui ne peut que reculer devant cette belle flambée…

    L’homme s’ébroua, comme un cheval sous la pluie. Il accrocha sa cape à une patère contre la porte et pendit son chapeau, après l’avoir secoué. Il regarda Marie droit dans les yeux et dit, en souriant :

    - Tu sais pourquoi je suis là, il va falloir se décider…

    Veuve depuis que son mari était tombé à Verdun, Marie dirigeait seule cette petite ferme, propriété de la municipalité. Certains conseillers voyaient d’un mauvais œil une femme, seule, souvent coupée du village par d’épaisses chutes de neige, faire le travail d’un homme. D’autres ne pouvaient que louer la présence de Marie dans ces herbages pentus, cernés par la forêt. Comme Marie ne semblait pas réagir, Anselme répéta doucement :

    - Tu m’as entendu Marie…

    - Bien sûr que je t’ai entendu, je réfléchissais. En fait, je ne cesse de réfléchir depuis ta dernière visite…

    - Alors, qu’as-tu décidé ?

    - Il faut que je te dise, Anselme…

    Il la coupa d’un geste de la main.

    - Oui, je sais, Marie, je sais que Théodore te fait les yeux doux et qu’il te dépanne souvent quand il te manque du foin…

    A cet instant, trois coups discrets contre la porte interrompirent Anselme, surpris.

    - Tu attendais du monde, Marie,

    - Non, pas spécialement… Oui, entrez !

    La porte s’ouvrit, faisant vaciller, avec son appel d’air, les flammes de la cheminée. Un homme, grand, tête nue, porteur d’une cape qui lui tombait jusque sur les chevilles regarda le couple assis, en dévoilant un grand sourire. Anselme avait la bouche grande ouverte d’étonnement.

    - Bonsoir la compagnie, bonsoir Marie, bonsoir à toi Anselme.

    - Bonsoir à toi Théodore, te serais-tu égaré dans le brouillard ?

    - Que non, je venais apporter 3 truites pêchées  de ce matin à Marie, et toi, qu’as-tu apporté ?

    - Hé bien, justement, j’apportais une pleine besace de cèpes...

    Marie souriait, pas du tout surprise par la présence de ces deux hommes, qui, elle le savait depuis longtemps, la courtisaient alors que les convenances de son deuil s’estompaient.

    C’est à cela que Marie songeait alors qu’Anselme lui demandait une réponse. Elle appréciait les deux hommes, autant l’un que l’autre et n’aurait voulu pour rien au monde leur faire de la peine. Comment faire pour ne pas donner le sentiment qu’elle avantageait l’un ou l’autre ? Comment ne pas s’en faire des ennemis ? Comment leur laisser un espoir sans froisser l’éconduit ? Surtout qu’elle savait qu’avec Anselme et Théodore, elle avait deux alliés au conseil municipal. Que faire ?

    Elle posa deux verres sur la table.

    - Tenez, les hommes, goûtez à ma prunelle de l’an passé, mon petit alambic a été généreux, pour moi, je vous accompagne avec un jus de pomme…

    Les deux hommes trinquèrent sans animosité, chacun se croyant le préféré de Marie. Celle-ci leva son verre et à ce moment, une idée lui vint :

    - Dites donc, c’est bientôt la fête du vin nouveau au village, il me faudra un chevalier servant, mais qui choisir ?

    Anselme et Théodore se redressèrent en bombant le torse, les yeux dardés sur les lèvres de Marie. Qui allait-elle désigner ? Marie leva l’index, comme atteinte d’une profonde inspiration, les yeux emplis de malice.

    - J’ai une idée. Voilà. Je vais préparer deux truites avec une fricassée de champignons pour chacun de vous. Mon chevalier servant sera celui qui pourra identifier tous les ingrédients utilisés pour parer les truites…

    Anselme bomba encore plus le torse.

    - Marie, j’ai le palais fin et les papilles gourmandes, tu peux déjà compter sur moi !

    - Holà camarade,pas si vite, moi aussi j’ai le palais fin et un nez qui ne s’en laisse pas conter, je crois bien, Marie, que tu seras à mon bras !

    - Voilà deux coqs au goût bien affûté ! Pendant que je prépare ces belles truites, j’ai de l’ouvrage dans le bûcher qui pourrait bien se satisfaire de vos bras, allez, hop là, je me mets en cuisine.

    Les deux soupirants se levèrent, un sourire narquois sur les lèvres. Chacun était convaincu d’être le gagnant.

    Marie vida les truites, les lava et les sécha. Plusieurs raviers reçurent les différents ingrédients destinés à souligner la finesse de la chair de ces beaux poissons. Elle réfléchissait tout en ciselant et se demandait ce qu’elle pourrait ajouter, qu’Anselme et Théodore, deux fins gourmets, ne pourraient détecter. Elle pila sa préparation pour en faire une bouillie qu’elle rallongea d’huile de noix, et à la dernière seconde, rajouta une cuillère de… Les truites n’attendaient plus que la poêle.

    La table une fois mise, Marie ouvrit la porte et appela ses prétendants qui arrivèrent, la mine réjouie, avec toutes les apparences de la camaraderie, mais avec la farouche détermination d’adversaires.

    - Mhm, quelle odeur merveilleuse, tu es une fée, Marie !

    - Je ferais bien l’aller-retour tous les jours pour respirer ce fumet de fête, ajouta Théodore qui ne voulait pas être en manque de compliments.

    - Asseyez-vous, je vous sers. Voyez, j’ai préparé une feuille blanche et un crayon pour chacun. Vous écrirez ce que votre palais reconnaît.

    Ils masquèrent leur étonnement et s’affairèrent sur leur plat, non sans jeter des regards soupçonneux chaque fois que l’un se saisissait de son crayon.

    - Marie, tu as des doigts de fée, clama Anselme, tout en posant la main sur sa feuille.

    - Tu n’as pas que des doigts de fée, Marie, tu es une fée, ajouta Théodore.

    Marie prit son air le plus sérieux, saisit les deux pages et lut à haute voix, puis il y eut un silence en même temps qu’une certaine tension prenait forme.

    - Je vois en effet que vous êtes de fins gourmets… mais…

    - Mais quoi s’exclamèrent en même temps les deux hommes.

    - Anselme, et toi Théodore, vous avez tous les deux oubliés l’ingrédient final, dommage.

    Le dépit se lisait sur le visage, cela faisait peine à voir.

    - Tu peux nous dire ce que nous avons manqué ?

    - Certainement pas mes gaillards, mais je vais vous donner une nouvelle chance, disons, la semaine prochaine ?

    Le sourire revint. Ils discutèrent encore un peu, puis prirent congé, déçus, certes, mais animés par la volonté de faire mieux, la semaine suivante.

    Marie se prépara la troisième truite, amusée par son subterfuge. Quelqu’un frappa à la porte ;

    - Vous avez oublié quelque chose ?

    Ce n’était ni Anselme, ni Théodore, mais Madeleine, la voisine de l’autre côté de la forêt qui s’occupait d’une bergerie, avec son mari.

    - Eh bien Madeleine, que t’arrive-t-il pour courir les bois à cette heure pleine de brouillard ?

    - C’est mon Honoré qui s’est foulé la cheville, il me faudrait de l’arnica, je sais que tu en fais et je voudrais bien le soulager de sa douleur…

    - J’ai ce qu’il te faut, un instant.

    - Dis, je crois bien avoir vu de loin deux hommes qui ressemblaient à l’Anselme et au Théodore, étaient-ils chez toi ?

    Marie raconta ce qui s’était passé quelques instants auparavant, toute amusée de pouvoir conter son histoire.

    - C’était quoi cet ingrédient qu’ils n’ont pas trouvé ?

    - Je vais te le dire, mais tu le gardes pour toi, promis ?

    - Promis !

    Marie se pencha et dit à l’oreille de Madeleine :

    - J’ai ajouté une cuillerée de…

    - Oh !

     

    Vous connaissez maintenant la véritable recette de la truite de l’Etang du Devin… Mais, ne le répétez à personne…

     

     

    Gérard   Stell

     

     

     

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