• Mademoiselle Nina ...suite et fin...

    Vous avez pu vous apercevoir d'anomalies dans le texte, j'en suis désolé. Il s'agit des miracles de l'informatique, à savoir que j'ai voulu transformer du PDF en JPG, et comme je suis parfaitement nul pour ce genre de manipulation, j'espère que vous aurez corrigé de vous-même, en me pardonnant...

                                         

     

     

                          Mademoiselle Nina (suite et fin)

     

     

    Quelques hommes plus hardis se rapprochèrent avec crainte d’un Mademoiselle Nina ...suite et fin...chameau squelettique et d’un buffle efflanqué, amputé d’une corne,bouffé par la vermine.
    Les femmes enveloppées dans leurs châles noirs se serraient craintivement derrière leurs maris pou copier en bonnes épouses leurs gestes et leurs exclamations. Sergio et Marco arrivèrent alors que
    l’homme à tout faire battait du tambour, avant de reprendre son rôle declown. Un homme âgé, torse nu s’époumona pour donner un semblant devie à un gros ours noir presque aveugle. Il termina son numéro international de dressage de bêtes fauves en lançant des plaisanteries lestes à un public ravi. Des grands coups de caisse annoncèrent le clou du spectacle.

    Une anxiété toute juvénile étreignit les spectateurs conquis d’avance.Mademoiselle Nina dansa, sautilla sur un fil tendu, fit quelques cabrioles puis elle dansa entre les rangs de l’aimable assistance.
    Les deux frères dressés dévoraient des yeux l’artiste dont le tutu en satin
    pailleté jetait des éclairs de lumière. La masse de ses cheveux roux

    26

    balayait la poussière chaque fois qu’elle s’inclinait devant les membres de l’assistance. Les paysans qui jetaient leurs pièces dans l’assiette en métalcabossé s’empressaient de retirer leurs bras, mal à l’aise. Ils n’avaientjamais vu une naine.

    Elle s’arrêta interdite devant Sergio et Marco. Ses grands yeux noirsdévisagèrent les deux frères. Elle leur sourit et demanda au premier,
    – Comment t’appelles-tu toi ?
    – Marco.

    – C’est joli Marco... Je vois que tu as une flûte dans ta ceinture... Veux-tu jouer un air pour moi ? Je danserai pour toi...
    Le visage de Sergio se ferma. Toutes ces années de solitude à deux dans
    le calme et la sérénité des collines ne l’avaient pas préparé à cette épreuve. Ses pensées trop simples, trop pures s’entrechoquèrent. Ungrand désarroi le figea.

    Émerveillé et bouleversé Marco sentit son cœur bondir, il crut défaillir de bonheur.
    La place du village, ses habitants réunis, le cirque, tout disparut dans une
    obscurité d’autant plus profonde que la petite créature se détachait sur un fond illuminé d’une myriade d’étoiles filantes.

    Il saisit sa flûte et joua comme jamais il ne l’avait fait. Mademoiselle Nina virevolta, fit bouffer son tutu à l’ourlet effiloché, elle tenta quelquesentrechats sur ses petites jambes ridicules. Elle termina par une longuerévérence et un baiser qu’elle souffla du bout des doigts tendus de sa main potelée.

    Sergio revint à lui, niant encore l’évidence après avoir vécu plusieursmorts en un court instant. Il commanda sur un ton sans appel, en donnant un coup de hanche,
    – Viens ! Nos moutons sont seuls. Retournons dans les collines. Incrédule, Marco opposa une résistance inutile. Il eut juste le temps de lancer sa flûte.

    – Tiens, c’est pour toi ! En souvenir de ce soir merveilleux ! Je penserai

    27

    toujours à toi !
    Pour la première fois, eux qui n’avaient fait qu’un, ne marchèrent pas dumême pas. Sergio entraînait, ou plutôt tirait son frère, mâchoiresserrées, l’oeil fixe.

    Les jours puis les semaines s’écoulèrent dans un mutisme réciproque. Ilsne retournèrent plus au village. Que ce soit la nuit ou le jour, Marco rêvait à chaque instant des grands yeux de Mademoiselle Nina, desintonations si douces de sa voix lorsqu’elle lui demanda son nom. C’est à lui, à lui seul qu’elle s’était adressée. Il en éprouvait une immense fiertétroublé par un sentiment inconnu mais si délicieux.

    La jalousie et l’envie qui minaient Sergio se transformèrent en sourderancœur, en un cancer qui lui rongeait les entrailles. Les mêmes penséessans cesse ressassées lui tenaient lieu de nourriture et de boisson. Comment avait-il pu accepter les hommages de cette inconnue, comment avait-il osé offrir la flûte qui avait enchanté tant de d’heures de paix et debonheur ? Une conviction atroce lui glaçait le cœur : s’il en avait eu lapossibilité, son frère serait parti avec la danseuse.

    Une nuit douce parfumée de romarin et de thym, alors que Sergio allaitenfin s’assoupir, il entendit Marco murmurer dans son sommeil d’unevoix aux inflexions amoureuses,
    – Nina mon ange, je te vois dans le ciel, tes cheveux font danser les étoiles... Tu me regardes... Tes lèvres murmurent mon nom... Nina... Ma femme...

    Le sang de Sergio explosa dans ses artères, dans ses veines, sa visions’obscurcit et bouscula sa raison dans une brume rouge. Sa main se referma sur une pierre aux arêtes coupantes. Il la leva et l’abattitplusieurs fois sur le visage de son frère.

    La tension nerveuse des derniers jours, le manque de sommeil et un immense vide plongèrent Sergio dans une torpeur entre la veille et lecoma. C’est plus tard, alors que le soleil levant écrêtait les collines et qu’il

    28

    voulut se lever qu’il comprit qu’il était attaché à un cadavre. Un poidsénorme lui tirait le côté gauche. Des douleurs violentes lui enflammèrentle dos, ses os gémirent. Il réussit au prix d’immenses efforts à se hisser et à s’adosser à un rocher. Le soleil le trouva là, immobile, consumé par ladouleur et la haine. Il ne comprenait pas ce qu’il avait fait, il ne pouvaitadmettre sa situation, lui vivant, son frère mort... Ils avaient toujours été unis, avaient tout partagé, tout, presque tout...

    À force de repousser la tête mutilée, celle-ci s’était raidie, calée sur l’épaule gauche. Les yeux éclatés avaient l’aspect vitreux des méduseséchouées sur la grève et chauffées par le soleil. Des lambeaux de peau et de chair formaient une corolle sanguinolente autour des dents éclatées.Les mouches arrivèrent dans l’après-midi, toujours plus nombreuses, en compagnie de colonnes de fourmis qui entraient par un orifice pour en ressortir chargées de butin. Les insectes arrivaient de partout, se bousculaient dans les cavités du nez et se disputaient les orbites.

    L’odeur, seulement écœurante au début, se transforma en puanteur, enun halo sonore et pestilentiel. Attaqué par un groupe de gros scarabéesmordorés, la tête s’animait d’un mouvement, comme si elle reprenait vie, sous le regard hébété de Sergio.

    Les moutons s’enfuirent, précédés par le chien. Sergio était seul.
    Le soleil insensible aux douleurs humaines avait noirci le cadavre, gonflé et distendu le ventre. Sergio à bout de force renonça à chasser le nuage compact des mouches qui l’étouffaient. Il osa enfin regarder son frère,saisit sa tête informe, souffla son nom et donna un baiser aux cheveux gluants. Il chanta une de leurs chansons préférées, crut entendre les notes harmonieuses de la flûte. Il poussa un cri déchirant, se raidit puiss’écroula.

     

    Une autre nouvelle, pour la semaine prochaine...

    Bon dimanche et bonne lecture...

     

     

     

     

    29

    page29image824
    Partager via Gmail Delicious Technorati Yahoo! Google Bookmarks Blogmarks Pin It

  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :