• La souris et un homme

    Fin de ce voyage dans le grand port de Hamburg fin des brumes et des odeurs de bière et de parfums bon marché... J'espère que vous avez aimé...

     

     

    UNE SOURIS BLANCHE EN 33 TOURS (suite et fin)

     

     

    La souris et un hommeLe tintement des clés et le bruit sec du verrou brouillèrent ma vision. La porte se referma dans mon dos. Une odeur forte de violette parfumait la pénombre, cette odeur que je haïssais tant, le parfum préféré de “l’autre”.

    Elle se plaqua contre moi, je sentis son haleine acidulée de lait tourné en même temps que ses lèvres se collaient contre ma bouche.Le plat de sa main frotta l’emplacement de mon sexe pour m’encourager. J’eus envie de vomir, de fuir ce contact répugnant. Le baiser s’arrêta sur un bruit mouillé de succion et me délivra de l’étreinte.

    Elle s’activa avec des gestes précis, rodés par l’habitude. Elle alluma une petite lampe en opaline garnie d’un voile de crêpe, posa un 33tours sur un électrophone et sortit une bouteille de gin. J’aime le gin, sa force et son bouquet. J’en bus une longue gorgée qui irradia mon corps comme un souffle de braise. Les tangos argentins joués en sourdine alliés à l’alcool entamèrent ma résistance Elle me tendit une cigarette allumée, au goût âcre tout en évaluant mon érection par de rapides grattement de ses ongles sur ma braguette. Le bout filtre

    46

    maculé par l’épais rouge à lèvres me troubla. Je ne fus même pas étonné de voir une souris blanche courir, par petits bonds successifs sur une étagère. Il faisait froid dehors, ici j’étais au chaud, je buvais du gin et fumais une cigarette étrange, les tangos dansaient dans ma tête, j’étais bien...

    Le flash de l’enseigne accrochait dans sa ronde le fil d’une lame de sabre fixé au centre d’un panneau de soie noire. Des morceaux de tabac plus épais crépitèrent et crevèrent le papier. Des jets de fumée dense fusèrent en deux arabesques symétriques. Tant de perfection m’enchanta. Mes yeux suivirent les ondulations jusqu’à ce qu’une pénible sensation de tournis me serre les tempes. Je continuais un temps de glisser sur les volutes bleues, de me prendre pour un génie de la voltige, je devenais esprit, je colorais des transparences musicales. L’idée de revenir en arrière me terrifiait, il ne le fallait pas, j’étais devenu un dieu.

    Une angoisse me troubla. J’étais observé. Un œil immense se précisa, sorti de nulle part. Ou alors était-ce un nombril distendu qui m’observait ? Que me voulait-il ? Il fallait me ressaisir, me tenir sur mes gardes. La chose dut lire mes pensées, je la vis se rapetisser,prendre l’apparence d’un gros chat angora. Elle ne bougea plus, me crut dupe. L’imbécile ! Je la devinai tapie, retenant son souffle, comme si elle pouvait berner un dieu !

    Oui, je les voyais bien maintenant, la chose et le nombril... Je pus déplacer mon bras droit par petites touches. Je voulus inspirer, me débattre pour sortir d’un roulis nauséeux. La chose blanche se dressa et siffla. Mon bras se détendit, buta dans une masse qui s’envola pour retomber presque aussitôt en émettant un miaulement furieux.Des lamentations m’assaillirent, une ombre se lança sur moi, me secoua, m’injuria. Il m’était insupportable d’être secoué de la sorte,un dieu ne pouvait accepter ce genre de violence ! Je bondis. Mes mains arrachèrent le sabre de son support. Il tournoya en froissant

    47

    l’air de la chambre. Je devais punir cette créature de m’avoir arraché à ma béatitude. Et cette panse, cette panse gonflée qui allait et venait. Elle se déroba, courut vers la fenêtre pour m’échapper. La lame se planta dans le front de la prostituée et ouvrit le crâne comme s’il s’agissait d’un œuf à la coque.

    La souris blanche crispait ses griffes minuscules dans les sillons des tangos argentins. Je tremblais. Des blocs de glace m’écrasaient les tempes. Je devais partir, fuir cet endroit... À chaque fois c’était la même chose, ce n’était pourtant pas ma faute si je déteste l’odeur desviolettes...

     

    Gérard STELL

    Partager via Gmail Delicious Technorati Yahoo! Google Bookmarks Blogmarks Pin It

  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :