• La saga de Luc (suite) "Elle fumait des Baltos"

    Combien parmi vous ont eu une grand-mère ou une tante qui vivait à la campagne? Là où vous avez amassé tant de souvenirs qui ne vous quitteront jamais...

    Le temps, obstiné, s'écoule, il vous façonnera malgré vous, pourtant, ces souvenirs d'enfance ne s'effaceront jamais...

     

     

     

    Dans" La Saga de Luc", vol. 1

    disponible aux Editions Les 3colonnes

     

    Elle fumait des Baltos

     

     

     

    Les rapides de Lorraine - Le cochon - Le mirabellier

    L’armoire à linge - Saint Nicolas

    La fosse à purin

     

     

     

    La Saga de Luc ( suite )

     

     

     

     

    2

      Salut toi, c’est chouette de te voir, tu vas rester longtemps?

    Luc sursauta, surpris dans ses salutations au mirabellier.

     Du même âge, de taille identique, Lucie respirait la santé. Ses joues bronzées son joli visage ovale encadré par de longs cheveux châtains, des yeux gris bleu et des jambes de cabri lui donnaient l’allure d’une nymphe des prés. 

    - Je ne sais pas, peut-être un mois, peut-être plus, ça dépend de ma mère, on verra bien...

    - On va bien s’amuser, j’ai trouvé un coin formidable. Il y a des grands qui ont construit une cabane au-dessus de la Weideheck, si, je t’assure, on voit couler l’eau sous les pieds! On ira demain. Tu viens? C’est l’heure de manger.

    Le soleil se faisait engloutir par l’horizon, un semblant de fraîcheur redonnait vie à la campagne assoupie. Les poules se remirent à courir, les lapins à caracoler dans les clapiers. Les crapauds entonnèrent les vêpres. La terre frappée par les rayons cuisants renvoyaient dans l’air immobile une quantité de senteurs. Des assiettes et des couverts cliquetaient dans toutes les cuisines, au même rythme tranquille que les wagonnets. Une paix, une douceur proche de l’extase remplaçait la présence cuisante du soleil. La campagne avait retenu son souffle tout l’après-midi, elle respirait maintenant, sereine, apaisée. Luc se retourna juste avant d’entrer dans la maison. L’horizon en feu mijotait quelques nuages ventrus, pressés de se faire happer par le chaudron céleste. Il embrassa son grand-père, un homme grand, aux cheveux blancs frisés, et une moustache à la Adolphe. Il se leva, le salua et éclata de rire en pointant son index. Luc aurait tout donné pour comprendre et partager l’hilarité du grand-père qu’il admirait. Malheureusement, il ne comprenait pas l’allemand. Il demanda à sa grand-mère,

    - Qu’est-ce qu’il dit?

    - Il dit que tu ne dois pas aller chez les voisins et lâcher leurs poules,que tu ne dois pas jouer au bandit de la ville.

    - Tu peux lui dire que je suis un grand maintenant et que j’ai passé l’âge de jouer comme les gamins, dis-lui.

    Le grand-père écouta la traduction, s’esclaffa, saisit le garçon par la nuque et le força à s’agenouiller. Il lui coinça la tête entre les cuisses et expulsa un pet aux sonorités fracassantes. Insensible aux gesticulations frénétiques de Luc qui voulait se dégager, il émit un second pet, sourd et nauséabond. Les forces décuplées par l’indignation, le garçon se dégagea en criant. Ses oreilles gaufrées par les grosses côtes du pantalon en velours virèrent au rouge vif. Lucie s’étouffait de rire, la grand-mère faisait mine d’être choquée,mais ses yeux pétillaient.

    - Puisque tu es un grand maintenant, le grand-père t’a baptisé, c’est l’épreuve du feu comme dans les tranchées, lui dit Lucie.

    Sa colère tomba, et il ajouta son rire aux autres. La voix du grand-père tonna,

    - Ruhe! (Silence)

    Il augmenta le son et écouta le débit monotone des informations du soir en allemand. Lucie et Luc jouèrent ensuite aux cartes sous le regard de la grand-mère qui reprisait un vêtement de travail. Elle commanda plusieurs fois, sans grande conviction,

    - Allez, les enfants, il est l’heure d’aller se coucher.

    Impatient d’aller dans le grand lit avec sa cousine pour se raconter des histoires d’horreur, Luc retardait cependant cet instant. Une crainte proche de la panique lui tordait l’estomac. Chaque nuit, dans cette chambre, le même cauchemar le réveillait. Il s’asseyait alors dans le noir, pleurait et prononçait des discours dénués de tout sens. Il rêvait qu’il gravissait une montagne de sable, et plus il montait, plus il s’enfonçait. Il arrivait avec beaucoup de peine et d’efforts presque au sommet, mais au dernier pas, le sable se dérobait et finalement l’ensevelissait. Il craignait encore plus d’avoir à se lever en pleine nuit pour aller aux toilettes. Le noir épais, ajouté à un silence effrayant le terrorisait. Il se souvint des dernières vacances où il n’avait pas trouvé la porte, erré dans le noir, les bras tendus dans le vide, sans repère et la vessie douloureuse. Il ne comprenait pas que ses sanglots n’éveillent personne. Il errait dans un monde hostile, écrasant. Il se souvenait vaguement avoir été une nuit ébloui par une lumière violente et secoué par sa grand-mère.

    - Mais qu’est-ce que tu fais là?

    - Je pisse, tu vois.

    - Et en plus tu refermes la porte sur toi!

    - Il faut toujours fermer la porte quand on va aux toilettes...

    - Nigaud que tu es! Tu es dans mon armoire à linge! Si le grand-père se réveille gare à toi!

    - Ah?

    La grand-mère ramena par la main le somnambule dans son lit. Que dire de ces autres années , lorsqu’il faisait encore pipi au lit!

    Il devait avoir six ou sept ans. Cela se passait toujours les nuits où le mauvais génie l’obligeait à gravir cette maudite montagne de sable. Quel plaisir de se libérer et de sentir cette chaleur bienfaisante, annonciatrice d’un sommeil si profond, si confortable... Le contact froid du matin le réveillait en sursaut et le plongeait derechef dans un autre cauchemar, réveillé celui-là. Pour sa grand-mère, faire pipi au lit se trouvait en première position sur la liste des péchés. Aiguillonné par la honte et la crainte, il crut avoir trouvé la parade, en léchant la grande tache aux bords ambrés, et en mâchouillant le drap pour en extraire les traces du crime. Il lui plaisait de croire que sa grand-mère fut dupe. Le plus dur, le plus horrible, le souvenir qui le secouait le plus remontait à deux ans.

    Tout avait commencé par ce matin glacé lorsque des hommes larges et grands, insensibles au froid, les manches de chemise retroussées, avaient extrait son compagnon de goinfrerie de la porcherie. Luc écouta les couinements déchirants de loin, en se tordant les mains de terreur, ses gémissements à l’unisson de la bête martyrisée. Il aurait voulu courir le plus loin possible, ne plus entendre, mais il restait vissé au sol, au coin de la maison, fasciné par le drame. Il adressa dans un murmure fervent un prière à son ami : pardonne-moi de t’avoir craché sur la tête, de t’avoir appelé gros tas de saindoux, je t’aimais bien... On ne mangera plus ensemble...

    Il ploya les genoux quand la masse s’abattit sur le crâne de l’animal ( à suivre ) 

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