• Fées et mystères dans les Vosges

     

     

     

     

     

     

     

    Les jours d'après

     

     

    6 Le sursaut (suite)

     

     

     

    Fées et mystères dans les VosgesC’était une petite bâtisse, à un étage à colombages brun foncé qui faisait bien ressortir le vert amande des murs. Le haut de la maison, travaillée par les siècles, penchait, comme une forme de salut à l’aplomb de l’eau cascadant entre des roches placées là par un génie moqueur. Une fresque aux couleurs vives garnissait le pignon, pour le plus grand plaisir des photographes amateurs. On y voyait un paysan guidant sa charrue, tirée par deux bœufs blancs, sur un fond de colline couverte de vignes réparties autour d’un haut clocher en grès rose. Le volet de l’étage était ouvert. Helmut se posa sur le rebord de la fenêtre, mais malgré sa vue perçante, il ne put voir à travers un épais rideau en cretonne. Il frappa du bec contre la vitre et battit furieusement des ailes, dans l’espoir d’attirer l’attention du Grand Marcheur.

    Celui-ci était assis à sa table, occupé à trier et à classer ses photos. Son esprit, tout en travaillant, ne cessait de se promener autour de l’étang du Devin. Il y était allé la veille, et y resta assis de longues heures, face à l’épais tapis de canneberge, de droseras et de linaigrettes. Un blaireau trotta sans hâte, devant ses pieds, ignorant l’occupant du banc. Celui-ci le lui rendit bien. Son regard restait fixé sur le fond de l’étang, dans l’espoir de plus en plus vain, de voir un mouvement, une lumière. Hélas, la nuit était déjà tombée depuis longtemps, lorsqu’il se décida, le cœur gros, de rentrer chez lui. Quand reverrait-il la petite fée aux grands yeux verts ? Il ne vivait que pour cet instant chéri où elle poserait sa tête contre son épaule. Il espérait de toutes ses forces que cet instant durerait une éternité. Plongé dans ses pensées, ses mains ne bougeaient plus, suspendues dans le vide. Un son lui parvint de loin, puis prit de la force, jusqu’à devenir bruyant. Il se leva, intrigué, car cela semblait venir de sa fenêtre. Des garnements qui s’amuseraient à lancer des cailloux contre sa vitre ? Il tira le rideau et ne vit rien de particulier, personne devant la rambarde de protection, devant la Weiss. Son front se plissa d’étonnement lorsque le claquement d’un objet dur contre la fenêtre, tout près de son visage le fit sursauter. Il pinça les yeux, expira un soupir comme s’il suffoquait. Sa bouche s’ouvrit sur un râle d’incompréhension. Là, à quelques centimètres, se matérialisait une forme. Il vit un bec puissant, puis deux yeux immenses, puis une tête de rapace qui se forma nettement. Le reste du corps se révéla peu à peu, masquant la façade de la maison de l’autre côté du cours d’eau. Devenait-il fou ? Le rapace, devant ses yeux ébahis s’ébroua. C’était un volatile curieux, mi hibou, mi chouette, de belle taille, pas du tout effarouché par la présence de l’homme, bien au contraire. Le Grand Marcheur exhala un oh ! de peur et d’émerveillement à la vue du bec qui s’ouvrait. L’oiseau parlait ! Il lui parlait !

    •  A te voir je comprends que toi aussi tu me vois. La question est réglée. Pour faciliter les choses, il faudrait te trouver un autre nom. C’est trop long, le Grand marcheur, de plus, c’est un peu pédant. Alors il faudrait se mettre d’accord sur, voyons… oui, Peter t’irait bien, ça me fait penser à Peter Pan. La question est réglée. Moi, c’est Helmut.

    Baptisé Peter, le Grand Marcheur ne put que s’incliner devant une raideur toute germanique. Il ressentait, d’autre part que la présence de Helmut, toute merveilleuse qu’elle soit, devait avoir un rapport avec l’étang du Devin. S’il n’y avait lieu à s’étonner, il fallait alors s’inquiéter, car seuls des événements d’importance capitale pouvaient motiver tout ce mystère.

    •  Bien. Maintenant que tu me vois et que tu m’entends, tu vas m’écouter, sans m’interrompre. Tu me poseras des questions après. Nous sommes d’accord ?

    Peter ne s’étonna pas en s’entendant répondre.

    •  Nous sommes d’accord. Je t’écoute, Helmut.

    Peter sentit son sang se glacer, au fur et à mesure que Helmut exposait tous les faits connus. Il reçut la disparition de la petite fée aux grands yeux verts comme un coup de poignard dans la poitrine. La douleur fut si forte, qu’il pressa la main contre son cœur. Helmut lui apprit qu’elle s’appelait maintenant Gladys. Les informations s’amassaient, les unes après les autres, dans une chronologie froide et implacable. La réalité s’imposa à Peter. Il comprenait ce qui était attendu de lui. Il avait pour mission de trouver et de délivrer tout ce monde, invisible au commun des mortels, sauf à lui, pourvu de cette faculté fantastique, de voir l’invisible. Helmut se redressa et inclina de la tête, en rassemblant ses pattes. Dans un salut très germanique.

    •  A toi d’intervenir Peter, nous comptons sur toi.

    Il s’envola alors, par la fenêtre restée ouverte. Peter resta assis, blême, les bras pendants le long du dossier de sa chaise. Il venait de vivre des minutes incroyables. Exceptionnelles et si tragiques à la fois. Son amour, son grand amour, son amour unique venait de disparaître. Elle et Hansi, elle et Ida la Généreuse. Qui avait pu commettre ce crime impensable ? Pourquoi ? Peter se prit la tête entre les mains, abattu et découragé. Puis, lentement, des réflexions prirent place, ouvrant de nouvelles perspectives. Il se leva brusquement, frappé par une évidence et s’exclama :

    •  Mais oui ! Gladys, Hansi et Ida la Généreuse sont invisibles aux yeux des humains ! Ils n’ont pu être enlevés que par des semblables, des gens, ou des entités qui voient l’invisible !

    Peter croisa les bras sur la poitrine et se mit à tourner en rond autour de sa table. Ce premier point lui sembla primordial, mais en même temps, il sentit le doute l’envahir. Enquêter ? Vite dit. Commencer par quoi ? Où ? Serait-il à la hauteur de cette tâche ? Le doute le rongea. Des sanglots d’impuissance le secouèrent. Il eut pitié de lui, se prit à se plaindre, à se prendre pour une victime. Puis il revit le visage de Gladys, son sourire, son abandon contre lui et tout l’espoir que cette image représentait. Une nouvelle vie, une vie merveilleuse, une vie radieuse, faite de bonheur et de paix.

    •  Il faut que j’aille sur place, que je regarde, que je trouve une ou des traces, cela à ma façon, avec un autre œil que Jeremy, ou Helmut. La vie invisible autour de l’étang du Devin, ou autour du lac de Gérardmer n’a jamais été confrontée à ce genre de problème. Le mal leur est inconnu, ils sont donc totalement désarmés. Il faut un regard neuf, un esprit logique dans cette affaire. Il était donc bien celui qu’il fallait !

    Peter remplit son sac à dos de tout ce qu’il estima nécessaire, pour plusieurs jours. Il n’oublia pas son appareil de photos, convaincu que l’objectif pourrait saisir ce qu’il verrait. L’invisible allait être figé, analysé, stocké. C’est avec un sentiment d’exaltation qu’il ferma la porte de son appartement.

     

     

    L’automne s’installait sous un ciel radieux, débarrassé de toute trace de brume. Les prairies se dégageaient tout doucement de la gelée matinale, chaque brin d’herbe se prenait pour un diamant, l’espace d’un instant, juste avant d’être avalé par un soleil souverain. Peter traversa le col de Bonhomme pour plonger en Lorraine, en direction du lac de Gérardmer, où, il en était convaincu, il trouverait un indice, ou le début d’une réponse à ses nombreuses questions. La forme elliptique du lac, tout en longueur, longeait la route, d’un côté, et une forêt épaisse et sombre sur l’autre face. Une légère brise parcourait la surface des eaux scintillantes et agitait les feuilles de quelques saules. Le jeune homme décida de suivre la rive assombrie par les hauts résineux, à l’opposé de la route bruyante. Il allait suivre l’eau, puis revenir sur ses pas, en cherchant un parcours parallèle, dans la forêt, afin de couvrir un maximum de surface. Il enjamba un ruisseau grouillant de crevettes d’eau douce qui se jetait dans le lac, pour le plus grand plaisir de perches à l’affût de cette manne. Un petit homme barbu, assis sur un arbre couché, l’observait, le menton appuyé sur sa main. Peter hésita. L’habillement de l’individu ( à suivre )

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