• Elle fumait des baltos (suite)

    A force de les suivre, vous allez les aimer et peut-être que vous aurez envie, ne serait-ce que quelques instants, vous trouver avec eux et partager toutes leurs fantaisies...

     

     

     

    Les orties de l’été (suite)

     

     

    La cérémonie initiatique - Le quartier général - LucetteElle fumait des baltos (suite)  Une chanson douce - Reine d’un jour.

     

     

    - Tu bois!

    Un grondement de colère souligna l’ordre sec.

    Pinpin lança un regard désespéré à son frère Jeanjean. Celui-ci baissa la tête. Le gros orteil qui s’agitait à travers sa basket trouée sembla le plonger dans une profonde méditation. Pinpin se transforma en statue de sel. Il tenait des deux mains la moitié d’un vieux ballon en caoutchouc, à hauteur de la bouche. Il grommela,

    - Je dis que ça sent la pisse...

    Luc serra les poings. Ce petit con allait lui faire perdre la face.

    - Écoute Pinpin, ce n’est pas de la pisse, c’est un breuvage initiatique. Oui, initiatique, j’ai lu la recette dans un journal chez le coiffeur. Ce n’est pas de la pisse, tu bois, ou alors tu ne seras pas accepté dans la bande. Bois, et tu seras un brave!

    Pinpin roula les yeux, il n’était pas convaincu. Un voile de larmes apparut. Il tenta une parade décisive,

    - Tu le jures sur la Vierge Marie que c’est pas de la pisse?

    - Je le jure!

    Luc leva la main et cracha entre ses pieds. Il s’en fichait, il ne risquait pas d’être damné. La Vierge Marie, il ne connaissait pas, inconnue chez les protestants. 

    Pinpin se résigna et passa à l’acte. Il avala une gorgée, la bouche tordue par le dégoût, une deuxième en se tortillant puis une troisième, plus longue. Il reprit son souffle.

    - T’as beau dire, mais je sens quand même un sacré goût de pisse!

    Jeanjean intervint, déchiré entre son devoir de frère aîné et son obéissance au chef.

    - Tu ne discutes pas, il ne reste que quelques gouttes.

    Luc sourit. Jeanjean était un vrai fidèle. Après tout, ils s’étaient donné beaucoup de mal pour préparer cette cérémonie. Trouver le ballon n’avait pas été difficile mais il avait fallu détourner l’attention de cette saleté de Bobette, l’affreux chien des Raker, pour lui soustraire son jouet préféré. Remplir le ballon s’avéra plus compliqué. Jeanjean et lui durent boire chacun plus d’un litre d’eau avant d’avoir envie d’uriner au bon moment. Pinpin but la dernière goutte et montra avec fierté le demi ballon vide à l’assistance. Il se planta devant Luc, les poings sur les hanches.

    - Je suis un brave maintenant, je fais partie de la bande, j’ai le droit de voir le trésor.

    - Il n’y a que les membres de la bande qui peuvent voir le trésor, toi Jean-Marc tu as refusé l’épreuve. D’ailleurs, tu n’as rien à faire ici, tu es un étranger.

    - Eh, et pourquoi je suis un étranger?

    - Pourquoi? Tu oses le demander?

    - Oui, vas-y si tu es cap! 

    Luc tendit un doigt accusateur.

    - Ta mère vient de Marseille, et elle a un accent! Tous les étrangers ont un accent!

    Jeanjean, son frère et le petit Yvan approuvèrent en silence. Jean-Marc renifla. Que répondre à une vérité si évidente?

    - Puisque c’est comme ça, vous êtes tous des cons!

    Les mains enfoncées dans les poches, Jean-Marc avait déjà opéré un mouvement de repli vers les escaliers de la cave. Il proféra l’insulte en même temps qu’il s’élançait. Il cria, hors de portée,

    - Tous des cons! Et je m’y connais!

    Il remarqua qu’il n’était pas suivi, revint sur ses pas, se pencha sur la rampe et lâcha un jet de salive qui s’écrasa sur la tignasse de Jeanjean.

    - Tous des cons! Et votre trésor je vais vous le piquer!

    Il n’attendit pas la réaction et jugea plus prudent de battre en retraite. En bas, dans la cave, la bande s’agitait. Luc devait reprendre le contrôle de la situation. Quelle malchance, une si belle cérémonie gâchée par un trou du cul d’étranger...

    - On va déménager le trésor, si une bande n’a plus de trésor, elle est foutue! Jeanjean, je t’ordonne de le sortir de sa cachette!

    - Dac chef.

    Une montagne de débris, de saletés grasses et humides se trouvait sous les escaliers. C’est là que Luc avait enfoui le trésor mais il ne souvenait plus de l’endroit précis, d’autre part, le tas d’ordures s’était encore épaissi depuis la dernière fois. De toute façon, Jeanjean adorait fouiller dans les ordures. Par contre, il n’aimait pas le contact des grosses limaces grises, des cloportes, et surtout, des mille-pattes luisants. Luc avait lu dans Cœurs Vaillants qu’ils pouvaient être venimeux.

    Trois caves se juxtaposaient sous la dalle de la cour. Leurs locataires les nettoyaient parfois en se contentant de pousser les saletés sous les escaliers. La grande poubelle mise à disposition devenait beaucoup trop lourde une fois remplie pour la porter jusque sur le trottoir. Chacun estimait alors que la corvée appartenait à quelqu’un d’autre. On y avait dernièrement trouvé deux peaux de lapins. Jeanjean les avaient enfilées et avait assuré qu’il en ferait de magnifiques bottes pour l’hiver. La gifle qu’il reçut à peine arrivé chez lui le découragea d’autant plus lorsqu’il vit les deux peaux grouillantes d’asticots s’envoler par le balcon de la cour. Elles atterrirent sur la terrasse de la marseillaise qui les trouva en allant décrocher son linge à une heure où elle avait déjà amplement honoré sa bouteille de rosé pelure d’oignons. Sa voix de stentor gratifia le voisinage de grossièretés que seule une étrangère pouvait inventer.

    - Je l’ai! Je l’ai les potes! Ah les vaches!

    Jeanjean entama une danse frénétique en secouant tour à tour ses pieds sans faire lâcher prise aux cloportes à l’assaut de ses genoux. Pinpin voulut lui apporter un secours fraternel et lui envoya un grand coup de planche sur les tibias. Son frère roula sur le sol en hurlant. Le petit Yvan courut dans la buanderie pour en revenir avec une pelletée de cendres raclées dans le foyer du poêle mis à la disposition des locataires pour faire bouillir les lessiveuses de linge.

    - Courage! Je vais les étouffer ces bestioles!.  (à suivre)

    Partager via Gmail Delicious Technorati Yahoo! Google Bookmarks Blogmarks Pin It

  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :