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    Dernière publication de cette année! J'espère que vous lisez toujours avec autant d'intérêt, si oui, vous connaitrez la suite et fin au cours de 2024... D'ici là, passez de joyeuses fêtes et armez-vous pour affronter une nouvelle année...

     

    La Saga de Luc (suite )

     

     

     

    La Saga de Luc  (suite)

     

     

     

    Le bunker du Japonais - La distillerie - Les lapins sont des cons

    Le radeau sur la Seille - La culotte de Lucette

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Il se coucha, sortit son petit robinet au bout pointu et le rentra dans le trou. Immobile quelques secondes, sous le regard inquiet de ses copains, il pouffa de rire.

    - Ouais, c’est vrai que c’est frais, c’est tout mouillé dedans et ça chatouille!

    Luc aurait bien essayé si sa pudeur ne l’avait pas retenu. Il rappela leur but.

    - Allez les gars, on y va, le radeau de l’aventure nous attend.

    Bien vite, l’enthousiasme du début se transforma en désenchantement. Les canifs entaillaient à peine les roseaux, les feuilles aussi tranchantes que des rasoirs bariolaient leurs mains et leurs bras d’estafilades sanglantes. Le plan de  départ supposait de former une douzaine de bottes reliées entre elles par des ficelles. Ensuite, ils auraient planté un mât et y auraient fixé une taie d’oreiller, elle aussi empruntée à la marseillaise. Tous les efforts n’avaient produit que deux bottes.

    - J’en ai plein le cul, je m’arrête, décida le petit Yvan.

    - Moi aussi j’en ai marre, s’excusa Jeanjean.

    Luc se rendait bien compte que leur projet dépassait leurs possibilités, mais être lâché ainsi, sans gloire, lui répugnait. La transpiration lui incendiait les yeux, des mouches aussi entêtées que voraces venaient se coller sur ses plaies. Il était vexé. Il tenta de leur insuffler le courage qui fuyait.

    - Allez les mecs, les deux bottes sont liées, je les jette à l’eau, qui veut essayer?

    Dans l’eau jusqu’à la taille, en équilibre sur une berge glissante, il retenait le début de radeau par une ficelle.

    - Alors, qui veut monter?

    Les eaux vert foncé semblaient redoutables, le courant rapide, et l’autre berge si éloignée... Jeanjean et le petit Yvan se consultèrent à voix basse. Jeanjean prit la parole, le petit Yvan affichait son parfait air de faux-cul, tout restait à craindre...

    - On a décidé. Mon frère est trop petit, et nous, éh bien, on doit laisser l’honneur au chef.

    Quelle était loin l’image de la descente triomphale! Mon Dieu se dit Luc, je ne sais pas nager... Le fond insondable le terrifiait. Il savait par des pêcheurs que des brochets monstrueux aux gueules garnies de centaines de dents naviguaient dans ces eaux sombres. Résigné, par bravade autant que par désespoir, il lança à la cantonade,

    - J’y vais bande de dégonflés, voilà ce que vous êtes, des dégon... Ahh!

    Ses talons  perdirent leur prise, ses bras fouettèrent l’eau. Il se débattit tant et si bien qu’il réussit à monter à califourchon sur les bottes de roseaux. Surpris par la rapidité des événements, puis horrifiés, les gamins plantés sur la berge virent le radeau s’enfoncer dans un bouillon de bulles, emporté par le courant. Muet et livide, Luc sentit le radeau flotter, sous la surface de l’eau, mon Dieu, pria-t-il, je ne veux pas mourir! Il ne vit plus ses copains qui couraient et hurlaient sur la berge, masqués par l’épais écran des roseaux. Il allait périr corps et biens, si seulement sa mère l’avait puni, si seulement elle l’avait empêché de sortir... Il versa une larme sur sa mort imminente, souhaita que l’on retrouve son cadavre, convaincu de vivre les dernières secondes de sa vie. Quel spectacle étrange, une tête de garçon, affleurant à peine la surface, la nuque raide qui avançait, porté par le courant!

    - Luc! Luc! Fais pas le con! Ne te noie pas!

    Brave Jeanjean, un vrai copain... Ce couillon de petit Yvan, qu’il y vienne à ma place...

    Les roselières s’arrêtaient après la courbe de la rivière, en vue du grand pont métallique du chemin de fer et des rochers qui remontaient du fond de la rivière. Les pieds de Luc raclèrent le fond, il n’osa pas soupirer de soulagement, son équilibre restait encore trop précaire. Il pouvait maintenant marcher dans l’eau. Libéré de son poids, le radeau roula à la surface, emporté par le courant.

    - Sauvé! Il est sauvé! Hourra!

    Le petit Yvan et Jeanjean tendirent une main charitable et hissèrent leur copain sur la berge.

    - T’as pas eu les chtouilles, demanda Pinpin, le visage encore couvert de larmes.

    Luc secoua négativement la tête. Il ferma les yeux, inspira, puis répondit sur le ton d’un homme qui aurait regardé la mort en face.

    - Je m’y connais en navigation, j’ai bien maîtrisé le radeau, je le dirigeais avec les genoux... Ça ce n’est rien, quand on a le bon matériel, mais le reste... J’ai bien failli y laisser ma peau, ouais...

    - Le reste? Quoi? Parle!

    Les traits tendus, le regard fixé sur une vision de cauchemar, il sortit son Opinel de la poche.

    - Vous voyez ça? Mon couteau m’a sauvé la vie, vous n’avez aucune idée...

    - Idée de quoi? Mais quoi?

    - Deux fois des brochets m’ont attaqué, des brochets des grands fonds, qui faisaient bien dans les deux mètres, ils m’ont attaqué par dessous, comme les requins... J’ai vu leurs gueules énormes... Y en a un qui a voulu m’attraper par la cheville et m’entraîner dans son repaire, sous une souche...

    - Et alors!

    - J’ai fait comme les indiens sur leurs mustangs, j’ai pivoté sur le radeau et une fois la tête sous l’eau, je lui ai planté mon couteau dans l’oeil... Je lui ai ouvert le ventre en me redressant. D’ailleurs, c’était une femelle, c’est pire, le ventre dégueulait des kilos d’oeufs...

    Les trois garçons dévisagèrent Luc, épouvantés. Ce morveux de Pinpin qui montrait pourtant les plus grands signes de terreur, demanda,

    - Mais alors, pourquoi t’as pas les cheveux mouillés?

    - Ben oui, c’est vrai ça, t’as pas les cheveux mouillés...

    Luc se leva, toisa son auditoire, et concéda, plein de mépris,

    - Oui, mes cheveux ne sont pas mouillés, c’est vrai... D’abord j’ai tourné très vite et d’une, et de deux, l’eau s’est évaporée avec le soleil. Pendant que je vous entendais courir et glapir, eh bien moi, j’en avais rien à foutre de mes cheveux, je luttais pour ma vie!

    Jeanjean trouva le mot juste.

    - Ouais, c’est toujours ce que je dis, celui qui n’a pas un couteau sur lui, c’est pas un homme... Merde quand même, t’as eu un sacré bol, je sais pas si j’y serais arrivé...

    Le petit Yvan dévia dans le grandiose.

    -Dommage, si tu avais pu le tirer dehors, on l’aurait accroché à la devanture du poissonnier, on aurait eu notre photo dans le Républicain Lorrain, dommage...

    Ils imaginèrent la photo, le récit, la gloire et l’admiration puis Luc revint au concret avec un problème plus urgent.

    - Je dois sécher mes habits.

    Il se déshabilla jusqu’au slip, imité par Jeanjean, à peine mouillé.

    - Tu as un drôle de slip s’étonna le petit Yvan, c’est un nouveau modèle?

    Luc rougit. Cela lui était complètement sorti de l’esprit, autrement il ne se serait pas déshabillé. Sa mère avait démaillé des chaussettes et un pull, et en utilisant la laine récupérée, lui avait tricoté un slip, la moitié inférieure en gris clair, l’autre partie en bleu marine. D’autant plus ulcéré qu’il sentait ses joues et ses oreilles s’embraser, il répondit faussement désinvolte,

    - C’est du fait main, en plus c’est de la laine, ça tient chaud dans l’eau, qui sait si ça ne m’a pas sauvé la vie...

    La moue du petit Yvan fut plus éloquente qu’un discours. Il eut le bon goût de ne pas insister et de ne pas répéter que sa mère ne l’habillait qu’en Petit Bateau.

    Jeanjean, absorbé par l’examen d’un trèfle faisait celui qui n’avait rien entendu. Il se souvenait encore de la méchante mise en boite au début du printemps et de ses larmes de colère et de honte. Les premières parties de bille commençaient, il préparait une main difficile. C’est cet idiot de Gaston qui mit le feu aux poudres.

    - Eh Jeanjean, qu’est-ce qui dépasse de ta culotte?

    - T’es con ou quoi? Tu veux que je rate mon coup?

    - Non, mais c’est quoi ça?

    Tous les regards se portèrent sur son entre-jambe où un tissu rose pendouillait. Rendu furieux par la diversion qui le déconcentrait, il baissa la tête, se regarda et dit,

    - C’est mon slip, couillon!

    Pinpin qui souhaitait voir la partie continuer et son frère gagner pensa le débarrasser  en expliquant d’un ton léger,

    - C’est une vieille culotte de ma sœur, allez Jeanjean, fous la dans le trou, t’en as quatre!

    - Ouah! La culotte de sa sœur! Elle doit avoir un beau gros cul la Lucette!

    Ce nabot de Gerber, à peine toléré dans le groupe se permit un rire destiné à faire mal, à humilier.

    - Hé les gars, regardez la belle culotte rose! Il est où le soutien-tif? Sous ta chemise?

    Quel con ce Gerber, mais il faut bien avouer que tout le monde avait bien ri. Aujourd’hui, Luc aurait presque embrassé Jeanjean pour sa discrétion. En même temps, il maudit sa mère, sa laine, ses aiguilles à tricoter.

    Le soleil avait beau taper, les vêtements ne séchaient pas aussi vite que dans les films, et il fallut bien se résoudre à les enfiler encore humides. La mini tragédie laissait des traces, malgré les fanfaronnades, chacun sentait confusément qu’un véritable drame venait d’être évité par miracle. Pinpin remarqua au milieu d’un silence,

    - Merde alors, et dire qu’on ne sait pas nager, en plus, heureusement qu’il avait son Opinel...

    - Et si on allait aux cerises, proposa Jeanjean avec entrain.

    - Bonne idée, où?

    - Ben, je pense au Chemin du Lavoir, y a plein de branches qui passent au-dessus du mur du couvent.

    - T’es pas un peu louf? C’est bien trop haut, on pourra jamais!

    L’épisode du slip oublié, Luc estima le moment mûr pour reprendre l’initiative.

    - Ouais, c’est l’année dernière qu’on était trop petit, depuis on a grandi, vous allez voir... On y va! On longe la voie ferrée, c’est parti!

    Les rails rouillés et les herbes qui envahissaient le ballast indiquaient clairement que la voie ne servait plus. Pour la bande cependant, la notion de danger devait obligatoirement épicer tous leurs faits. A tour de rôle, tous les vingt pas, ils collaient leur oreille sur un rail, comme ils l’avaient vu faire par les indiens du Far-West.

    - Y a rien, rapporta Pinpin à qui c’était le tour.

    Luc donna l’ordre de continuer, en abaissant le bras.

    Ils décidèrent de s’inspirer d’une scène dans la Bataille du Rail, scrutèrent  avec un petit frisson les épais taillis qui garnissaient le talus. Luc leva le bras.

    - Stop les mecs, on aborde une zone dangereuse, nous ne sommes pas armés et sans nos lance-pierres, on peut se faire tirer comme à la foire si on reste au milieu de la voie. Il vaudrait mieux suivre la ligne de crête, deux à gauche, deux à droite. Jeanjean, tu me suis.

     Comme prévu, le petit Yvan ne put s’empêcher de râler.

    - C’est bien gentil tout ça, moi avec Pinpin, il n’a aucune expérience et si on se fait attaquer, il ne saura pas me couvrir!

    - Bon, alors tu envoies Pinpin en éclaireur, s’il y a un danger toi tu pourras le couvrir, okay?

    Pinpin n’en menait pas large, il n’y avait pourtant aucun danger à part celui qu’ils se plaisaient à imaginer.

    - Ouais, parce que je suis le plus jeune, le casse-pipe c’est pour moi... J’en ai marre!

    Ils se faufilèrent courbés dans les massifs d’acacias, l’oeil aux aguets. Des jurons fusaient parfois,

    - Merde! Saloperie d’épines!

    - T’es con! Tu pourrais retenir les branches!

    - Me reste pas dans les pattes! T’es éclaireur, et un éclaireur ça reste devant!

    - Vous allez la fermer tas d’enflures, cria Luc, il y a longtemps qu’on boufferait les pissenlits par la racine si on nous observait!

    Le silence ne dura pas. Le petit Yvan décida de redescendre sur la voie. Tête haute, il balança les bras et marcha au pas cadencé. Il entonna à pleins poumons,

    - Jean, Jean, Jean, la bouteille au cul, si tu la casses tu seras pendu!

    - T’as de la chance que je n’ai pas de bouteille autrement tu la recevrais sur la tronche!

    La vue des entrepôts de la SNCF et des cheminots coupa court aux invectives. Le danger, le vrai, se matérialisait à l’approche des ouvriers.

    Ils remontèrent le talus pour suivre le chemin habituel et trottèrent jusqu’au pont.

    - On souffle un peu les mecs! 

    Ils s’accoudèrent sur le parapet métallique, accablés par la chaleur.

    - En vlà un, cria Pinpin.

    Le train de marchandises se profilait nettement à l’horizon. La locomotive crachait de gros nuages blancs pressés. Son halètement puissant et régulier se rapprochait.

    - Je parie que je pisse dans la cheminée, proposa Jeanjean.

    - Okay, au signal on pisse tous les quatre, je suis sûr que si on vise bien, on peut éteindre la chaudière, en batterie!

    Ils attendirent le signal, dos creusés, le zizi à l’air. Des volutes agressives s’emparèrent du pont, le tablier vibra.

    - Feu!

    Ils se reboutonnaient encore alors que la locomotive disparaissait dans la dernière courbe avant la gare de triage.

    - En plein dans le mille claironna Pinpin.

    - Tu m’étonnes, s’insurgea le petit Yvan, t’y connais rien! Moi j’ai calculé la vitesse, l’angle, ça s’appelle de la balistique morveux! Et toi Jeanjean?

    Furieux, celui-ci s’escrimait sur un bouton rebelle.

    - J’avais pas envie, autrement ça aurait fait des dégâts, j’étais le mieux placé...

    - Et toi Luc?

    - Bof, j’ai tiré au jugé, mais je suis certain d’avoir tapé dans la cheminée... D’ailleurs, j’ai bien entendu la baisse de régime. Je parie que le chauffeur n’y a rien compris, qu’il a rajouté deux à trois pelles de charbon pour compenser...  

     

    La suite, la semaine prochaine... Vous êtes gâtés aujourd'hui, non?

     

     

     

     

     

     

     

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  • A tout mon lectorat "joyeuses fêtes de fin d'année, un noël familial; de la paix et de l'espoir...

     

     

     

    La Saga de Luc (suite )La Saga de Luc  (suite)

     

     

     

    Le bunker du Japonais - La distillerie - Les lapins sont des cons

    Le radeau sur la Seille - La culotte de Lucette

     

     

     

     

    - On pourrait peut-être demander à la Droguerie? Pinpin baignait dans l’extase, ce qui ne l’empêchait pas de rester curieux. - Qu’est-ce qu’il a gueulé le Japonais! C’est quoi les roupettes qu’il voulait nous couper? Aucun ne savait. Après réflexion, Luc proposa, - Il est sûrement dingue, nous on en n’a pas. Il devait penser aux boches, ouais, on dit bien que les gigolos ont des rouflaquettes, les boches devaient avoir des roupettes pendant la guerre... Il fut décidé après cet instant, en conseil, de ne plus fréquenter pendant un certain temps la réserve de carbure, ce qui laisserait la possibilité aux lézards de se refaire des queues. Le soleil tapait dur lorsqu’ils arrivèrent à la hauteur de la casemate occupée maintenant par une distillerie. C’est là que l’an passé, Jeanjean faillit périr comme dans un film de Tarzan. Pour plus de commodité, les déchets de la distillation, principalement des noyaux de mirabelles et de quetsches, remplissaient le trou d’un cratère de bombe. La surface bien lisse semblait dure et stable. Jeanjean souhaita la tester. Ses jambes s’enfoncèrent immédiatement, sa grimace incrédule se transforma en moue de dégoût lorsque le magma de noyaux dérangé exhala des odeurs de fruits pourris et d’alcool. Sa ceinture disparut, engloutie. - Hé les mecs! Je m’enfonce! C’est des sables mouvants! Aidez-moi, vite! - Mon frère! Au secours! Vite, il pourra pas avaler tous les noyaux! Et ce crétin de petit Yvan qui faisait un grand geste d’apaisement, planté comme un poireau, le menton soutenu par une main, concentré sur des solutions fumeuses! Il s’adressa à Jeanjean, - Panique pas mec, d’abord c’était une petite bombe, une cinq cent livres tout au plus, si, si, alors ça doit pas être bien profond... Bien sûr, si deux bombes sont tombées en même temps dans le même trou, je ne dis pas... Mais les statistiques... Jeanjean n’écoutait pas, insensible sur ses chances théoriques. Il restait curieusement calme, malgré la masse jaunâtre qui atteignait ses aisselles. Une très forte odeur d’alcool sortait du trou. - Il faudrait des couvertures! - Andouille! On n’a pas de couvertures, rugit Luc, occupé à casser une grosse branche. Vexé, le petit Yvan insista, - Il faudrait trouver des lianes, comme dans le film. - T’en as plein la culotte des lianes, c’est pas la jungle ici, aide-moi à la casser cette saloperie de branche! Jeanjean avait déterminé depuis un bon moment qu’une seule bombe avait créé le cratère, car ses pieds touchaient le fond, ce qui lui permettait d’apprécier calmement le plan de sauvetage. Ce salaud se laissa tirer sans faire le moindre effort d’accompagnement. Il resta allongé dans l’herbe, dégoulinant de jus et de noyaux, enchanté par son expérience. - Ben, tu vas bouger maintenant? Tu ne vas pas rester couché là, ou alors tu attends que Jane vienne te rouler une pelle? Eh Tarzan? Plus tard, ils évoquèrent souvent ce tragique sauvetage, assis autour du feu dans leur quartier général. Au fil du temps, Jeanjean avait sombré dans les noyaux, seuls quelques bulles d’air indiquaient son emplacement. Tous couchés sur le sol pour former une chaîne, Luc l’avait saisit in-extrémis par les cheveux en le sauvant d’une mort horrible. Chacun savait bien que ce n’était pas vrai, mais pour le plaisir d’évoquer la peur rétrospective, ils étaient prêts à jurer le contraire. Et dans les grands moments, quelle belle envolée pathétique quand Jeanjean, la voix cassée, rappelait, - Tu te souviens Luc, quand tu m’as sauvé la vie? La route goudronnée s’arrêtait après la distillerie, prolongée par un chemin sablonneux. Ils devaient passer devant une vieille fermé fortifiée, étrange, inquiétante. L’entrée ressemblait à un arc de triomphe en grosses pierres de taille noircies par le temps. Une plaque gravée, sur la gauche, indiquait que Charles-Quint y avait tenu ses quartiers pendant le siège de la ville. Ils mouraient d’envie de pénétrer dans l’enceinte, mais les crocs formidables d’un gros bâtard blanc les refroidissaient à chaque fois. De plus, deux garçons de leur âge, les cheveux en bataille, le nez barbouillé de morve, leurs lançaient des pierres tout en excitant le chien. Pour cette raison, une certaine appréhension les incitait à accélérer le pas en arrivant à la hauteur de la ferme des barbares. Le chemin descendait ensuite en pente vers les champs et les prairies qui bordaient la Seille. Au passage, ils s’obligèrent à une halte dans un champ de carottes, juteuses et sucrées. Ils avançaient accroupis, les fesses vers le ciel, croquaient les racines oranges, jetaient les fanes par dessus l’épaule, un œil toujours rivé sur la hauteur, dans le cas où les barbares feraient une sortie. Après la voie de chemin de fer qu’il fallait traverser, le chemin se rétrécissait, enclavé entre deux épaisses haies d’aubépines et de mûriers abritant du regard un ruisselet seulement perceptible par des notes cristallines. Les taillis se raccourcirent, découvrant une praire coupée ça et là de fourrés, et bordée de rangées de peupliers le long de la rivière. Plusieurs fois déjà, ils eurent la prétention de chasser les lapins, armés de leurs lance-pierres. Désabusés après quelques tentatives, ils décrétèrent que les lapins étaient des cons, qu’ils couraient n’importe comment. Ce qui n’empêchait pas les chasseurs en herbe d’affirmer en avoir touché un, et gare à celui qui décelait une lueur moqueuse dans le regard de son interlocuteur. - Hé les mecs! s’exclama Pinpin, regardez! La troupe s’arrêta. Ils virent deux corps dépassant d’un taillis, allongés dans l’herbe et des fesses qui se soulevaient à un rythme régulier. Deux garçons, des grands d’au moins quatorze ans se relevèrent en s’esclaffant. L’un d’eux leur tournait le dos tandis que le second faisait face aux enfants, tous deux essayaient sans trop de hâte de faire rentrer un énorme zizi tout raide dans leur culotte. Hypnotisé par les sexes, Jeanjean bégaya, - Hé les gars, c’est quoi ça? Le plus grand réussit en se pliant à se reboutonner. Il répondit, - C’est ma troisième jambe les gosses, je l’avais mise au frais! Jeanjean n’en revenait pas, en les regardant s’éloigner derrière les peupliers. - Vous avez vu ça? Les pauvres mecs, y sont pas normaux, putain! Pinpin regarda Luc. - Ils racontent des conneries, leur troisième jambe touche pas le sol, d’ailleurs y avait pas de chaussure dessus... Ils s’approchèrent, intrigués, de l’endroit où l’herbe couchée conservait la forme des corps. Deux trous noirs, bien ronds transperçaient le milieu des formes Ils scrutèrent à genoux les orifices, méfiants et sur leur garde. Les carottes qui gargouillaient dans les estomacs, le bruissement de la brise dans les feuillages, le soleil brûlant, et la vue des énormes excroissances avaient jeté un trouble que brisa Pinpin. - C’est vrai qu’il fait vachement chaud, je vais essayer moi aussi. Il se coucha ( à suivre )

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    La Saga de Luc (suite )

     

     

     

    - Oui, mais... rapporte-moi des fleurs et de la verdure, tu peux bien faire çaLa Saga de Luc "elle fumait des baltos (suite) pour ta mère...

    Luc fila, des fois qu’une autre demande lui passerait par la tête. 

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Le bunker du Japonais - La distillerie - Les lapins sont des cons

    Le radeau sur la Seille - La culotte de Lucette

     

     

    - Ouais! On t’attendait! On fait quoi aujourd’hui?

    Jeanjean tortilla des fesses et se frotta les mains, son frère attendait, le pouce dans la bouche.

    - J’ai une idée, mais on attend le petit Yvan.

    - Justement le voilà!

    Il suçait une grosse pêche, avec des bruits de succion exagérés pour faire envie aux garçons.

    - Bon, je suggère qu’on aille à la Seille. J’ai lu une histoire de l’Oncle Paul dans le Spirou, sur le Kon-Tikki. On va faire un radeau avec des roseaux et on va descendre la rivière, qu’est que vous en dites?

    - C’est sensass! Ça c!est une idée! Mais... je ne sais pas nager, mon frère non plus.

    - Moi itou, ajouta le petit Yvan.

    - Et alors? La belle affaire! Moi non plus. Quelle importance puisque le radeau va flotter et nous porter. Ça va être vachement bien, non?

    - Ouais!

    Ils longèrent les voies du chemin de fer, très riches en zones de jeux. Entre autres, une muraille en bloc de grès des Vosges où les nombreux interstices servaient de repères à des colonies de lézards. Chacun devait démontrer son adresse en attrapant les reptiles derrière la tête, pas par la queue qui se cassait en gigotant. Non loin de là se trouvait un grand bac en ciment avec une trappe d’accès sur le dessus. C’est par celle-ci que les cheminots vidaient chaque matin les résidus de leurs lampes au carbure. Une grande partie des déchets formait une pâte consistante, il restait cependant de nombreux morceaux secs, encore utilisables. Les jours “carbure” exigeaient une certaine planification, il importait de boire un maximum d’eau pour avoir une vessie bien remplie en début d’après-midi. C’est Jeanjean qui insistait pour descendre par la trappe et récolter les bons morceaux de carbure. Des bouteilles vides trouvées le long du ballast recevaient quelques morceaux de carbure, une bonne dose d’urine et un bouchon. Lancées contre la muraille des lézards, les cocktails Molotov improvisés explosaient mais ne produisaient pas assez de bruit. Le petit Yvan qui avait toujours un Spirou d’avance, proposa d’insérer des mèches et de les enflammer. Un wagon de marchandises vide, sur une voie de garage, fut baptisé “Le bunker des Japonais”.

    - On fait comme à Guadalcanal, commanda le petit Yvan, c’est mon idée après tout.

    - Dac, mais c’est moi qui donne l’ordre de lancer.

    Ils s’accroupirent derrière une levée de terre, allumèrent les mèches, et au signal de Luc, les quatre bouteilles s’envolèrent. Trois explosèrent contre la paroi du wagon, celle de Jeanjean passa par la lucarne à droite et explosa à l’intérieur. Un hurlement jaillit du wagon.

    - Bon dieu de nom de dieu! Vlà les boches qui remettent ça!

    Un clochard, familier du quartier, se rua à l’extérieur et se jeta la face dans les graviers, les mains plaquées contre les oreilles. Pinpin se roula sur le sol pris d’un fou-rire catastrophique. Le clochard se redressa, vit les visages médusés des enfants. Il se releva d’un bond.

    - Boudiou! Petits fumiers! Que je vais vous foutre ma pogne sur le râble et vous couper les roupettes!

    Le vieil homme surpris dans son sommeil n’avait pas eu le temps de se chausser, ce que le ballast pointu lui rappela en lui enlevant toute velléité de poursuivre les garçons.

    Ceux-ci n’en demandèrent pas plus pour filer.

    - C’était super sensass, vachement chouette, dommage que ça n’a pas pété plus fort, il devait manquer quelque chose à la recette, tu ne crois pas, demanda Luc.

    Le petit Yvan fronça les sourcils. ( à suivre )

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     Elle devait penser à autre chose car l’accord tomba, sans menace, sans restriction. Elle se ravisa pourtant à la dernière seconde,

    - Oui, mais... rapporte-moi des fleurs et de la verdure, tu peux bien faire ça pour ta mère...

    Luc fila, des fois qu’une autre demande lui passerait par la tête. 

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Le bunker du Japonais - La distillerie - Les lapins sont des cons

    Le radeau sur la Seille - La culotte de Lucette

     

     

    - Ouais! On t’attendait! On fait quoi aujourd’hui?

    Jeanjean tortilla des fesses et se frotta les mains, son frère attendait, le pouce dans la bouche.

    - J’ai une idée, mais on attend le petit Yvan.

    - Justement le voilà!

    Il suçait une grosse pêche, avec des bruits de succion exagérés pour faire envie aux garçons.

    - Bon, je suggère qu’on aille à la Seille. J’ai lu une histoire de l’Oncle Paul dans le Spirou, sur le Kon-Tikki. On va faire un radeau avec des roseaux et on va descendre la rivière, qu’est que vous en dites?

    - C’est sensass! Ça c!est une idée! Mais... je ne sais pas nager, mon frère non plus.

    - Moi itou, ajouta le petit Yvan.

    - Et alors? La belle affaire! Moi non plus. Quelle importance puisque le radeau va flotter et nous porter. Ça va être vachement bien, non?

    - Ouais!

    Ils longèrent les voies du chemin de fer, très riches en zones de jeux. Entre autres, une muraille en bloc de grès des Vosges où les nombreux interstices servaient de repères à des colonies de lézards. Chacun devait démontrer son adresse en attrapant les reptiles derrière la tête, pas par la queue qui se cassait en gigotant. Non loin de là se trouvait un grand bac en ciment avec une trappe d’accès sur le dessus. C’est par celle-ci que les cheminots vidaient chaque matin les résidus de leurs lampes au carbure. Une grande partie des déchets formait une pâte consistante, il restait cependant de nombreux morceaux secs, encore utilisables. Les jours “carbure” exigeaient une certaine planification, il importait de boire un maximum d’eau pour avoir une vessie bien remplie en début d’après-midi. C’est Jeanjean qui insistait pour descendre par la trappe et récolter les bons morceaux de carbure. Des bouteilles vides trouvées le long du ballast recevaient quelques morceaux de carbure, une bonne dose d’urine et un bouchon. Lancées contre la muraille des lézards, les cocktails Molotov improvisés explosaient mais ne produisaient pas assez de bruit. Le petit Yvan qui avait toujours un Spirou d’avance, proposa d’insérer des mèches et de les enflammer. Un wagon de marchandises vide, sur une voie de garage, fut baptisé “Le bunker des Japonais”.

    - On fait comme à Guadalcanal, commanda le petit Yvan, c’est mon idée après tout.

    - Dac, mais c’est moi qui donne l’ordre de lancer.

    Ils s’accroupirent derrière une levée de terre, allumèrent les mèches, et au signal de Luc, les quatre bouteilles s’envolèrent. Trois explosèrent contre la paroi du wagon, celle de Jeanjean passa par la lucarne à droite et explosa à l’intérieur. Un hurlement jaillit du wagon.

    - Bon dieu de nom de dieu! Vlà les boches qui remettent ça!

    Un clochard, familier du quartier, se rua à l’extérieur et se jeta la face dans les graviers, les mains plaquées contre les oreilles. Pinpin se roula sur le sol pris d’un fou-rire catastrophique. Le clochard se redressa, vit les visages médusés des enfants. Il se releva d’un bond.

    - Boudiou! Petits fumiers! Que je vais vous foutre ma pogne sur le râble et vous couper les roupettes!

    Le vieil homme surpris dans son sommeil n’avait pas eu le temps de se chausser, ce que le ballast pointu lui rappela en lui enlevant toute velléité de poursuivre les garçons.

    Ceux-ci n’en demandèrent pas plus pour filer.

    - C’était super sensass, vachement chouette, dommage que ça n’a pas pété plus fort, il devait manquer quelque chose à la recette, tu ne crois pas, demanda Luc.

     

     

     

     

    Elle devait penser à autre chose car l’accord tomba, sans menace, sans restriction. Elle se ravisa pourtant à la dernière seconde, - Oui, mais... rapporte-moi des fleurs et de la verdure, tu peux bien faire ça pour ta mère... Luc fila, des fois qu’une autre demande lui passerait par la tête. Le bunker du Japonais - La distillerie - Les lapins sont des cons Le radeau sur la Seille - La culotte de Lucette - Ouais! On t’attendait! On fait quoi aujourd’hui? Jeanjean tortilla des fesses et se frotta les mains, son frère attendait, le pouce dans la bouche. - J’ai une idée, mais on attend le petit Yvan. - Justement le voilà! Il suçait une grosse pêche, avec des bruits de succion exagérés pour faire envie aux garçons. - Bon, je suggère qu’on aille à la Seille. J’ai lu une histoire de l’Oncle Paul dans le Spirou, sur le Kon-Tikki. On va faire un radeau avec des roseaux et on va descendre la rivière, qu’est que vous en dites? - C’est sensass! Ça c!est une idée! Mais... je ne sais pas nager, mon frère non plus. - Moi itou, ajouta le petit Yvan. - Et alors? La belle affaire! Moi non plus. Quelle importance puisque le radeau va flotter et nous porter. Ça va être vachement bien, non? - Ouais! Ils longèrent les voies du chemin de fer, très riches en zones de jeux. Entre autres, une muraille en bloc de grès des Vosges où les nombreux interstices servaient de repères à des colonies de lézards. Chacun devait démontrer son adresse en attrapant les reptiles derrière la tête, pas par la queue qui se cassait en gigotant. Non loin de là se trouvait un grand bac en ciment avec une trappe d’accès sur le dessus. C’est par celle-ci que les cheminots vidaient chaque matin les résidus de leurs lampes au carbure. Une grande partie des déchets formait une pâte consistante, il restait cependant de nombreux morceaux secs, encore utilisables. Les jours “carbure” exigeaient une certaine planification, il importait de boire un maximum d’eau pour avoir une vessie bien remplie en début d’après-midi. C’est Jeanjean qui insistait pour descendre par la trappe et récolter les bons morceaux de carbure. Des bouteilles vides trouvées le long du ballast recevaient quelques morceaux de carbure, une bonne dose d’urine et un bouchon. Lancées contre la muraille des lézards, les cocktails Molotov improvisés explosaient mais ne produisaient pas assez de bruit. Le petit Yvan qui avait toujours un Spirou d’avance, proposa d’insérer des mèches et de les enflammer. Un wagon de marchandises vide, sur une voie de garage, fut baptisé “Le bunker des Japonais”. - On fait comme à Guadalcanal, commanda le petit Yvan, c’est mon idée après tout. - Dac, mais c’est moi qui donne l’ordre de lancer. Ils s’accroupirent derrière une levée de terre, allumèrent les mèches, et au signal de Luc, les quatre bouteilles s’envolèrent. Trois explosèrent contre la paroi du wagon, celle de Jeanjean passa par la lucarne à droite et explosa à l’intérieur. Un hurlement jaillit du wagon. - Bon dieu de nom de dieu! Vlà les boches qui remettent ça! Un clochard, familier du quartier, se rua à l’extérieur et se jeta la face dans les graviers, les mains plaquées contre les oreilles. Pinpin se roula sur le sol pris d’un fou-rire catastrophique. Le clochard se redressa, vit les visages médusés des enfants. Il se releva d’un bond. - Boudiou! Petits fumiers! Que je vais vous foutre ma pogne sur le râble et vous couper les roupettes! Le vieil homme surpris dans son sommeil n’avait pas eu le temps de se chausser, ce que le ballast pointu lui rappela en lui enlevant toute velléité de poursuivre les garçons. Ceux-ci n’en demandèrent pas plus pour filer. - C’était super sensass, vachement chouette, dommage que ça n’a pas pété plus fort, il devait manquer quelque chose à la recette, tu ne crois pas, demanda Luc. Le petit Yvan fronça les sourcils.

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  • Fidèle à notre rendez-vous hebdomadaire, voici la suite de "Elle fumait des Baltos", dans " La saga de Luc ", premier tome d'une série de 8... Je continue de publier, avec souvent le sentiment d'envoyer mes textes dans le vide, puisque je ne reçois aucun commentaire, sur gerard.stell@outlook.fr... à bon entendeur...

     

     

    La Saga de Luc (suite )

     

     

     

    La place de l’école - La fille d’un lord - La bagarre

    Les seins d’Irène - L’épicier italien - Le crottin de cheval

     

     

     Le soleil se hissa au-dessus des faîtières des toitures et s’empara peu à peu de la rue. Assis sur le rebord de la devanture de la mercerie, Luc claquait des dents depuis une bonne demie-heure. Des vagues de chair de poule fusaient sur ses bras et ses jambes nus. Plongé dans la lecture d’un ancien numéro de Spirou, il attendait le passage de la glacière de la brasserie Amos. Annoncé de loin par le claquement sonore des sabots sur l’asphalte, le puissant percheron absorba lentement la montée de la rue. Le cocher s’arrêta à la hauteur du garçon, les mains sous son grand tablier en cuir.

    - Alors petit, une demie-barre, comme d’habitude?

    - Oui monsieur.

    - Tu es vraiment certain que ce n’est pas trop lourd pour toi? 

    - Mais non, aujourd’hui j’ai dix ans!

    - Ah, si t’as dix ans, alors je n’ai plus rien à dire, salut!

    En fait, le pain de glace pesait lourd, très lourd, surtout que son contact brûlait les bras nus. Il pouvait, en serrant les dents et en retenant sa respiration, grimper un étage et poser la barre sur une marche, le temps que la morsure du froid s’estompe. Plus que le froid, Luc redoutait les deux manipulations à chaque étage, poser la barre, la saisir et la soulever. La douleur fut une fois si intense, qu’il lâcha la barre trop vite au deuxième étage. Mal équilibrée, celle-ci glissa sur les marches à toute allure en percutant les murs des paliers comme une grosse boule de billard qui giclerait en éclats sur chaque marche. La descente infernale s’épuisa dans le couloir où il ne resta plus qu’un glaçon de la taille du poing. Mais quelle différence ce matin! Il l’avait tout de suite remarqué à son réveil, il se sentait nettement plus fort, ses muscles saillaient plus, on ne pourrait plus le traiter de gamin.

    - Oh, dépêche-toi! Tu ne vois pas que tu mouilles mon tapis? Quel empoté! En voilà bien des manières pour un morceau de glace...

    La respiration courte et les jambes flageolantes, Luc laissa tomber la demie-barre dans la glacière.

    - Tiens, maintenant tu prends le seau et la pelle, et tu vas ramasser le crottin, et attention! N’en laisse pas, j’en ai besoin pour mes plantes. Que ça ne traîne pas!

    Le garçon lança un regard furieux et claqua la porte. Quelle humiliation! Il devait suivre le chemin emprunté par le cheval, repérer les boules de crottin et les ramasser avec sa pelle, les joues et les oreilles embrasées par la honte. Heureusement cela se passait tôt le matin, aucun de ses copains ne pouvait le voir. Cette enflure de Martiano qui sortait ses cageots de légumes le héla,

    - Salut grand chef! La récolte est bonne?

    Il fit celui qui n’avait pas entendu, obsédé par les plantes sur le balcon, comment les faire crever? Il ne se berçait d’aucune illusion en montrant son seau à moitié rempli, le jeudi matin ne faisait que commencer, il resta donc immobile, obéissant, en attente de l’énoncé de la corvée suivante.

    - Laisse le seau sur le balcon, tu vas me passer le parquet de la salle à manger à la paille de fer, et ne rêve pas!

    Il ne faut pas qu’elle trouve un prétexte, il ne faut pas qu’elle m’interdise de sortir cet après-midi...

    Le travail ne pouvait souffrir aucun reproche, il y mit toute sa volonté, il s’y livra avec autant de rage que de désespoir, en ahanant, le front couvert de transpiration. 

    Il lui arrivait parfois, au cours de ses corvées ménagères, de voir en face, le petit Yvan accoudé à sa fenêtre, encore en pyjama. La veine qu’il pouvait avoir celui-là!! Il se levait sans doute vers les dix heures, sa grand-mère lui apportait son petit-déjeûner au lit, ensuite il pouvait feignasser jusqu’à midi. Jamais de corvées, jamais de commissions, il vivait comme un véritable seigneur, couvé, bichonné. Qu’est-ce qu’il l’enviait, mais lui... c’était le petit Yvan, il ne s’appelait pas Luc.

    Il n’était pas loin de midi, le travail enfin terminé. Luc affalé sur une chaise, le souffle court, plié en deux attendait que le point sur le coté cesse de le transpercer.

    - Tu en as mis du temps! Heureusement que tu n’es pas payé à la pièce, tu ne mangerais pas souvent à ta faim! Tu vas me prendre des biftecks à la boucherie, et tu insistes bien, qu’ils soient tendres!

    Luc descendit les trois étages à califourchon sur la rampe en bois, attentif à ne pas se coincer les genoux dans les volutes du fer forgé. Bien sûr, la queue dans la boucherie allait à cette heure jusqu’à l’entrée. Par chance, la dame devant lui donnait la main à une petite fille. La bouchère allait faire des amabilités à la maman, et offrir une tranche de saucisse à la fillette.

    - Tiens ma petite... Toi aussi Luc, mais tu deviens un grand, la saucisse est réservée normalement aux petits...

    Luc savoura sa tranche tout en pensant que le monde n’était fait que d’injustices, et que parfois c’était con de grandir.

    - Tu veux quoi?

    - Trois biftecks, il faut qu’ils soient tendres s’il vous plaît.

    Luc prononça ces derniers mots en regardant ses pieds, encore humilié par un souvenir cuisant. Sa mère l’avait obligé de ramener juste avant la fermeture de la boucherie trois bifs racornis, y compris la poêle.

    - Et tu vas leur dire que c’est plein de nerfs, que c’est de la semelle!

    - Ils sont à moitié mangés, ils vont pas être contents...

    - Comment je pourrais dire qu’ils ne sont pas bons si je n’ai pas goûté? File! Ils vont voir que je ne me laisse pas faire, ces profiteurs!

    - Ouais, mais c’est quand même moi qui dois y aller.

    - Et alors? tu es là pour ça, non?

    La mort dans l’âme, Luc descendit les escaliers pas à pas, la poêle à la main, il pria le grand Manitou,

    - Pourvu que personne ne me voie...

    Il resta dans le couloir à épier la boucherie jusqu’à ce qu’elle se vide de ses derniers clients, puis traversa la rue et bondit dans le magasin.

    - C’est de la semelle, ils sont pleins de nerfs, c’est ma mère qui l’a dit!

    Le couple observa un temps de silence. Ils échangèrent un regard irrité, haussèrent les épaules. Luc entendit le boucher murmurer entre ses dents,

    - Pauvre gosse...

    Lorsqu’il revint avec ses trois nouveaux biftecks, sa mère remarqua, triomphante,

    - Tu vois pauvre cloche, prends-en de la graine, on obtient toujours ce qu’on veut, suffit de ne pas se laisser faire.

    La vaisselle lavée, essuyée, sans casse, il balaya la cuisine et l’entrée. Pour faire bonne mesure, il passa un chiffon sur les meubles avec d’autant plus de fébrilité qu’il entendait les voix de Jeanjean et Pinpin crier, en bas sur le trottoir.

    - Voilà, c’est terminé, je peux sortir?

    Elle devait penser à autre chose car l’accord tomba, sans menace, sans restriction. Elle se ravisa pourtant à la dernière seconde,

    - Oui, mais... rapporte-moi des fleurs et de la verdure, tu peux bien faire ça pour ta mère...

    Luc fila, des fois qu’une autre demande lui passerait par la tête.  ( à suivre )

      

     

     

     

     

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  • Les jours se suivent et ne se ressemblent pas. Il neige encore, déjà plus de 30cm. Le chasse-neige va bientôt passer, enfin, je l'espère... C'est une journée à "buller", à lire et à écouter Accent 4, la radio classique qui consacre toute la journée à La Callas, sa vie et tous les extraits de ses opéras... Le bonheur...

     

     

     

     

     

    La Saga de Luc (suite )

     

     

     

     

    La place de l’école - La fille d’un lord - La bagarre

    Les seins d’Irène - L’épicier italien - Le crottin de cheval

     

     

     

     

     

     

     

     

    - Je sors un instant, continuez en silence, si je surprends quelqu’un c’est deux barres d’office et une retenue.

    Les têtes studieuses ne se relevèrent qu’au bruit de fermeture de la porte. Tout le monde comme par magie, se mit à parler, à plaisanter. C’est étonnant tout ce qu’on a à se dire lorsque le silence est imposé... Luc quitta sa place encore tout auréolé de sa gloire et se rapprocha d’Irène. Deux coupoles tendaient son petit pull tricoté. Il saisit un sein, le tâta en le soupesant, sans réaction de la propriétaire. La face ahurie de Fernand qui n’en croyait pas ses yeux l’incita à une débauche de hardiesse. Irène lui rappelait la blonde dans Rip Kirby, jusqu’au sourire mais en ce moment celui-ci semblait figé. Luc passa derrière sa chaise et lui empoigna la poitrine des deux mains. Elle tressauta, rosit et fit un petit oh!, son porte-plume en suspension. Luc regagna sa place le torse bombé, enchanté,

    - La vache, c’est doux et ferme...

    Il avait osé! Il ne se reconnaissait plus, il demanderait jeudi à la bande de lui accorder la médaille de la bravoure, enfin, s’ils voulaient bien le croire.

    Des parties de bille se poursuivaient sur la place, après l’étude. Un jour pareil, marqué par autant de chance, ne demandait qu’à se terminer en apothéose. Pour cela, il devait d’abord trouver un adversaire qui accepte de se mesurer à lui, sur la base obligatoire de “touché c’est gagné”, malgré son handicap, c’est à dire ses billes en terre cuite d’une couleur si terne. Ses quatre seules agates avaient changé de poche, à la régulière, la semaine passée. Durement gagnées, elles furent son orgueil l’espace de quelques jours. Les plus fortunés ne jouaient qu’avec des billes en verre qu’ils faisaient claquer avec ostentation. Selon eux, les billes en terre cuite faisaient pauvre, famille nombreuse.  

    Il ne restait que l’adresse et la volonté de gagner pour faire taire les considérations insultantes.

    - On fait une partie, demanda Luc aux frères Vogel.

    - Eh, tu nous prend pour des étrangers? On joue seulement avec des agates, on va pas se faire blouser par des chiques de minable!

    - Bande de dégonflés, vous êtes juste cap de jouer contre des gamins... Tenez, si vous êtes cap, je joue à un contre deux et je vous accorde une main d’avance. Vous deux contre moi, si vous refusez vous n’êtes que des vantards...

    Quelques garçons se rapprochèrent, flairant une partie d’enfer. Bernard et Henri se regardèrent indécis, ils ne pouvaient pas se dérober devant tant de témoins.

    - Dac, on y va, mais attention, on a une main d’avance.

    Ils choisirent un trou déjà creusé. Jeanjean qui venait d’arriver prêta son concours.

    - C’est moi qui trace le trait!

    Il grava dans la terre un sillon avec son talon, et sérieux comme un pape, déclara le jeu ouvert. Les deux frères lancèrent leur bille, elles moururent à environ quatre mains du trou. Luc visa à son tour, il devait virer Henri en priorité, car de toute façon, Bernard raterait une vache dans un couloir. Tout l’art résidait dans le lancer, de la force, mais mesurée, sinon la bille en terre cuite éclatait contre l’agate. Le jeu s’enchaîna, les copains gueulaient, juraient tandis que Bernard faisait triste mine et que son frère bouillait de colère. Le reste appartenait à la routine. Quand le clocher annonça six heures, Luc faisait crisser un pactole de douze agates au fond de sa poche. L’état de grâce se prolongea jusqu’à l’heure du coucher. Ses narines frémirent dès que sa sœur lui ouvrit : des crêpes aux pommes, fondantes et moelleuses au centre, craquantes sur les bords.

    Assise devant la fenêtre du balcon, plongée dans le dernier numéro de Confidences, sa mère l’appela sur un ton si rare que sa gorge se serra d’émotion.

    - Viens près de ta maman, embrasse-moi.

    Tendu et méfiant, il lui donna un rapide baiser, qu’est-ce qu’elle va dire se demanda-t-il, sur ses gardes.

    - Regarde cette photo, dis-moi franchement si elle est plus belle que moi, à ton avis?

    Elle tendit le magazine avec une nonchalance attristée. Martine Carol souriait en couverture, l’or de ses cheveux se fondait dans un flou brumeux, son regard invitait à l’adoration.

    - Tu hésites? Elle a quoi de plus que moi?

    L’irritation perçait, il fallait prendre position, enrober la réponse.

    - Tu es bien plus belle, je me demande pourquoi on en fait tout un plat, on dirait qu’elle sort d’un pot de peinture...

    Jeudi approchait, il se souvenait de la menace, ce jour sacré justifiait tous les sacrifices même si cette flatterie honteuse l’écoeurait.

    - D’ailleurs, c’est toi qui devrait être sur la couverture...

    Elle soupira, hocha la tête, le temps que se dissipe un voile de regrets et d’espoirs déçus.

    - Tu es gentil, heureusement que je t’ai, toi au moins tu comprends ta mère... Sois mignon, brosse moi les cheveux comme la dernière fois.

    Le grand jeu, pensa Luc, irrité par sa servilité, mais en même temps, il aimait brosser lentement, avec la juste pression les longs cheveux blonds. Il saisissait chaque mèche d’une main, faisait glisser la brosse jusqu’aux pointes qui se refermaient en boucle autour de ses doigts. Un instant privilégié qu’il chérissait, une cassure dans le temps, une formidable illusion, une grande émotion. Une réflexion acerbe le ramena sur terre.

    - Tu me fais mal, ce que tu peux être brute, tu as des mains de boucher!

    Pour effacer ce mouvement d’humeur, Luc imita l’épicier italien qui avait pris possession de la boutique sur le trottoir d’en face. Les jambes écartées, il marcha en se grattant les fesses.

    - Ouais, il marche comme ça, il se gratte le cul et après il coupe le gruyère et la saucisse, et quand une cliente demande de la mortadelle, il dit toujours, “Oh, elle est morte cette pauvre Adèle?”. Le garçon essayait de rendre l’accent italien au mieux tout en se dandinant et en se grattant avec frénésie. Sa mère riait aux éclats, alors il recommençait, sans oublier d’observer le volume du rire, pour apporter des variantes, ou s’arrêter avant de lasser.

    Il s’endormit  ce soir là sur des images de Tarzan et de Jane.

     

    Le soleil se hissa au-dessus des faîtières des toitures et s’empara peu à peu de la rue. Assis sur le rebord de la devanture de la mercerie, Luc claquait des dents depuis une bonne demie-heure. ( à suivre ) 

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