• La Provence à pied 5

    La Provence à pied. 5

     

     

    Luceram et ses crèches

    (Dans la montagne, au nord de Nice)

     

    Rester sous la couette aurait été une jouissance sans pareille en ce dimanche matin,La Provence à pied 5 où une bise aigre balayait le parking du centre commercial de Valescure (C’est le point de rassemblement, pour prendre les instructions relatives à la route ainsi que l’emplacement du parking où nous nous retrouverons). Les randonneurs présents ne pouvaient qu’être des braves, ou alors, des âmes en peine, à la recherche d’une sorte d’expiation.

    La meilleure route fut vite trouvée, mais où se retrouver ? 

    -        C’est simple, pas sur le premier parking, dit le chef.

    -       Alors où ?

    -       Simple, l’autre, juste après.

    -       Après quoi ? 

    -       Plus haut, vous verrez bien, face à la chapelle.

    Il parait qu’il y a une douzaine de chapelles dans ce village, si vous voyez ce que je veux dire… Rien de tel que des instructions précises pour partir confiants. Après tout, l’essentiel n’est-il pas de partir ? Il est donc un peu malvenu d’évoquer ceux qui se sont égarés et remis dans le droit chemin, grâce à l’archange Bouygues…

    Nous y sommes, au complet. Bien vite l’effort sur la pente gelée réchauffe les membres transis. Le soleil étincelle, il aveugle en frappant les sommets des Alpes, là-bas. L’air d’une pureté minérale brûle les poumons.

    De temps en temps, une forme humaine, courbée, presque bossue, sautille d’un fourré à l’autre, disparait pour soudain réapparaitre un peu plus loin. L’esprit de la montagne ? L’enfant caché du Yéti ?

    Non, oh non ! Une vérité pathétique s’impose au détour du chemin, car là, nous trouvons, prostrée sous un arbousier, notre LMU (Leader Maxima Unica), pâle, le souffle court, les traits déformés par la douleur. Et aussi, les deux mains pressées contre son ventre. Nos paroles de réconfort ont du mal à l’arracher de sa bulle de souffrance. Elle remarque enfin notre présence, fait un effort pour exprimer une ébauche de sourire, mais nous ne sommes pas dupes. Les gorges se serrent, émues par tant de dignité, tant de courage. Non, elle n’évoquera pas ses intestins en folie et nous faisons semblant de ne pas comprendre lorsqu’elle parle d’huitre pas fraiche… Nous nous gardons bien de lui proposer de l’Imodium.

    -       C’est mon Golgotha, murmure-t-elle, enfin, les yeux à la renverse.

    Que les tire au flanc méditent cette belle leçon de vie et s’en inspirent…

    La montée se poursuit, lente, mais régulière. Des cœurs cognent et se trouvent un peu à l’étroit dans les parkas. C’est dur, c’est long mais c’est un bonheur rarissime. De nombreuses roches blanches nous accueillent sur la crête que nous foulons enfin. La vallée frémit sous la caresse d’un soleil souverain tandis que les mains s’activent au déballage des victuailles. Cet instant, à lui seul, aurait pu être qualifié de magique, de minute d’éternité, si près de cet azur immaculé, mais le sort nous gâta.

    Notre LMU se hissa sur le sommet de la plus haute roche blanche d’où elle n’eut pas à demander le silence, car déjà, tous les regards, chargés d’une attente fiévreuse et extatique se préparaient à recevoir LA parole. L’ambre délicat de son abondante chevelure se nimba d’une auréole magnifiée encore, comme si c’était possible, par la luminosité de son aube aux plis ondoyants, répartis gracieusement sur la roche (Je crois bien que cette vision ne fut que le fruit d’une hallucination collective). En effet, la présence charismatique de notre LMU ne pouvait que faire baisser les yeux à un soleil devenu trop orgueilleux. Vouloir rivaliser avec ELLE !

    Maintenant, que les âmes sensibles arrêtent là leur lecture. Pour les autres : notre Leader Maxima Unica nous révéla, dans une mise en scène moderne les malheurs de Marie Madeleine… Figurez-vous qu’un voyou, une sorte de Rambo céleste avec la main droite lestée d’un coup de poing américain, envoya une châtaigne d’une telle violence à la pauvrette, qu’il lui arracha un fragment du pariétal supérieur droit. Les plus doués parmi les auditeurs entendirent à cet instant le bruissement des ailes des chérubins en colère, dans les hautes branches des pins. Les autres n’entendirent qu’une série de rots mal contenus. Un doux zéphyr voulut se mettre de la partie lorsqu’il se trouva bousculé par une gifle traitresse du vent du nord qui arracha la goutte au nez de notre présidente. Une main anonyme la rattrapa au vol (la goutte) pour l’enchâsser dans un cristal de Baccarat, à des fins mercantiles. Imaginez une boite à frites, le long d’une route à touristes, et un panneau portant une publicité agressive : Ici, toilettes et téléphone. Ici, LA véritable relique de la Leader Maxima Unica ! Une goutte de son nez ! Sans commentaires, comprenez une légitime émotion, une indignation sans borne.

    Pour les absents, eh bien, tant pis. Car l’instant magique se prolongea. Le miracle de la Chartreuse de la Verne se reproduisit ici ! Si, vous avez bien lu. Vous l’avez vécu. Souvenez-vous de la lumière d’or qui filtrait à travers les feuillages des châtaigniers, souvenez-vous de l’élévation vers les cieux, par notre Présidente, du petit pot de confiture –on m’a dit qu’il s’agissait de gelée d’arbouses- dont le verre de saint Gobain irradiait les sous-bois d’éclairs fulgurants. Vous y êtes ?

    Saisie par une saine émulation, notre mammy  Nova nous dévoila le Graal bis. Je ne vous dis pas l’émotion. Les petits beurres LU numérotés et la cuillerée de confiture de kiwi et de pamplemousse ! Extase, puissance 10…

    Que contenait réellement cette confiture ? Une schnouf locale ? Tout ce que je sais, c’est que le troupeau d’affamés de symbolisme se mit à dévaler la pente à la vitesse d’un commando de chasseurs alpins. Luceram se présenta à nos yeux émerveillés, entouré hélas, par un triple rang anarchique de voitures en stationnement. Quelle foule ! La visite des crèches avec un gros sac dans le dos, les bâtons dans une main, je ne vous dis pas !

    Remercions encore notre LMU, qui dans sa grande sagesse nous recommanda de quitter les lieux le plus tôt possible, afin d’éviter une cohue monstre. Ce que nous fîmes. Avec dans le rétroviseur les milliers de flammes dansantes des bougies…

     

    Gérard  Stell

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