• La Provence à pied 30

    Eh oui, la trentième randonnée, déjà! Alors, profitez-en, nourrissez-vous de ces paysages fabuleux, inspirez à pleins poumons... Bonne lecture.

     

    La Provence à pied

     

    Rando 30La Provence à pied 30

     

    La légende du village nègre

    Courmes, petit village, en bout d’une route sinueuse de montagne

    Au nord de Grasse (Alpes-Maritimes)

     

    Des odeurs riches, lourdes, suivaient les méandres d’une brise enfiévrée par un doux soleil d’automne. C’est le champignon qui primait sur l’humus, le champignon et un mélange subtil de fleurs et d’herbes. Les pluies des derniers jours avaient ramené à la vie une nature terrassée par de nombreuses semaines de fournaise. La force et la vitalité de la végétation donnaient le sentiment que celle-ci mettait les bouchées doubles pour dresser un rempart illusoire, face aux bourrasques glacées en gestation, là-haut, au-delà des sommets.

    Le soleil de l’après-midi s’insinua entre les feuilles mordorées d’un noyer, toucha de ses rayons chauds une noix qui n’attendait que ce signal pour chuter. Elle rebondit sur le ventre du dormeur qui se réveilla en douceur, le temps que ses pensées s’ordonnent, le temps qu’il se souvienne. Ah oui, le groupe était parti. Il faisait si bon, les pépiements des oiseaux étaient si charmants, qu’il céda à l’invitation langoureuse de ce coin d’herbe, sous le noyer.

     Il s’y allongea, alors, avec la conviction de savourer un grand moment de volupté. Eveillé, il leva les yeux vers les feuilles où l’or le disputait au cuivre, amusé par la chute de la noix et, le souhait d’en voir une autre choir. C’était un instant de solitude magnifique.

    Il avait fait un excellent déjeuner à la petite auberge du village perché dans la montagne, au bout d’une route qui s’arrêtait là. Il en était au café lorsque le patron s’appuya des deux mains sur la table, et lui demanda :

    -       Vous n’êtes pas équipé pour la randonnée, j’ai vu que vous boitiez, mais il y a quelques chemins faciles, autour où vous pourrez faire provision de grand air.

    -       J’ai entendu parler d’un village nègre, de l’autre côté de la crête, c’est là que le groupe veut se rendre. De quoi s’agit-il ?

    -       Il n’y a pas plus de village nègre que de fils du pape. Vous connaissez la légende ?

    -       Non, mais je suis prêt à vous écouter.

    Le patron trempa ses lèvres dans un verre d’alcool blanc. Il claqua la langue, puis commença, les yeux mi-clos.

    -       C’était au début du siècle dernier. La vie était rude à l’époque. Les gens de la montagne ne vivaient que de ce que la nature voulait bien leur donner. L’automne représentait la dernière étape avant le grand engourdissement de l’hiver.  Ce sont surtout les enfants qui s’en allaient sur les pentes ramasser mûres et myrtilles, noix et châtaignes et, bien sûr, les champignons. Séchés, ou dans le vinaigre, ils apportaient un air de fête pendant les longues journées d’hiver.

    L’aubergiste pinça les yeux, pour mieux se concentrer.

    -       Cet après-midi, Eliane, la fille des Barzotti, partit avec deux paniers en osier. Un chasseur la vit aborder la pente depuis l’offertoire, à l’entrée du village, dédié à Saint Christophe. Le temps changea soudainement. De gros nuages arrivèrent d’Italie et noyèrent la montagne depuis les premières pentes. Les villageois ne revirent la petite Eliane que le lendemain matin, en même temps qu’un soleil aveuglant. Pensez à leur angoisse, avec tous les loups qui rôdaient… Voici ce qu’elle raconta, en présence du curé, qui nota chaque mot :

    -       Je connaissais bien les endroits où je trouverais les mûres les plus belles, les plus juteuses, mais il fallait les mériter, et monter assez haut. Mon panier commençait à se remplir, alors que j’atteignais mon jardin secret, un sous-bois, à l’écart    , riche en cèpes. Je connaissais plus haut un endroit criblé de girolles, les champignons préférés de maman. J’étais presque arrivée sur la hauteur quand je vis avec crainte, qu’il n’y avait plus de village, plus de vallée. Un énorme nuage blanc avait tout enseveli, tout absorbé. Le soleil s’obscurcit, alors, tandis qu’une brume de sol me montait le long de la jambe, pour s’arrêter près de mes genoux. J’eus une pensée pour Saint Christophe et le priai de ne pas m’abandonner, car la nuit se rapprochait. J’eus vraiment peur. Que faire ? Impossible de descendre dans ce paquet de coton qui montait lentement, comme une pâte qui lèverait… J’entendis un bruit de galop et crus défaillir… Là, devant moi, à quelques pas, une meute de loups m’observait, les yeux jaunes, la gueule ouverte sur des babines baveuses… Je tombai à genoux, saisie d’effroi… Une lumière vive m’obligea à ouvrir les yeux, puis à les protéger de la main, tant la forme devant moi m’aveuglait. Les loups se mirent à ramper sur le sol, en émettant des jappements plaintifs, tournés vers la silhouette qui prenait de la consistance. C’était une femme, à l’air sévère, qui tendit le bras vers les loups. Ils se dressèrent et se figèrent dans leur mouvement pour ne plus bouger, pétrifiés, transformés en rochers d’un blanc sale. A cet instant, je vis la lumière décroître, je pus distinguer les traits de la dame, et son épaisse chevelure rousse. Elle me sourit et se fondit dans le crépuscule en éclatant en une gerbe d’étoiles. Trois plumes tombèrent du ciel, en virevoltant, comme portées par un souffle. J’entendis alors, des sabots frapper le chemin pierreux et me retournai. Un immense cerf se dressa devant moi, les pattes agitées de tremblements. Il tendit ses magnifiques cors vers le ciel et lança un brame dont l’écho roula sur les pentes de la montagne. Je savais d’instinct que je n’avais rien à craindre. D’ailleurs, Il me regarda puis me montra sa croupe, frappa le sol de ses sabots et s’en alla, lentement. Il tourna la tête, comme pour m’inviter à le suivre, ce que je fis. Il me conduisit ainsi jusqu’aux abords du village et disparut sans que je m’en rende compte. Saint Christophe m’avait entendue.

    -        Une jolie légende, en effet, mais pourquoi ce nom curieux de village nègre ?

    -       Une section de tirailleurs sénégalais avait bivouaqué là-haut en 40. Il semblerait qu’ils aient été oubliés jusqu’après l’armistice. Enfin, c’est ce qu’on dit… Tiens, voilà le groupe de randonneurs, les affaires reprennent.

    Toutes les tables furent occupées. Des soupirs de soulagement s’entrecroisèrent au moment de s’asseoir. Ils en avaient visiblement plein les jambes. Un groupe se mit à parler haut et fort, exigeant « des spécialités » et autre chose que du café ou des sodas. Celle qui parlait le plus fort se leva, se dirigea d’un pas décidé vers l’auberge, et revint avec une bouteille de vin blanc, un grand sourire gourmand sur les lèvres. Un coup de fusil retentit à cet instant. La détonation se cogna d’une montagne à l’autre. Tout se passa en quelques secondes.

    Une poule faisane jaillit, vers le ciel, une ombre fondit et heurta en plein vol la poule, à l’aplomb de l’auberge. Le faucon avait mal calculé son coup et la poule faisane disparut derrière un bouquet d’oliviers. Trois plumes tombèrent en tournoyant et se posèrent sur l’épaule droite de l’amatrice de vin blanc.

    Un oh !... de quoi ? D’émerveillement ? De vénération ? Ou tout simplement, de surprise ?

    L’étranger demanda au patron :

    -       Vous avez vu ? Qui est cette personne qui semble… mais oui, c’est comme dans votre légende… les trois plumes… Un signe ? Qui est-ce ?

    -       Je ne la connais pas, mais j’ai entendu certains qui parlaient d’elle en l’appelant Leader Maxima Unica, allez savoir pourquoi ?

     

    Gérard  Stell

     

    Partager via Gmail Delicious Technorati Yahoo! Google Bookmarks Blogmarks Pin It

  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :