• L'Amour aveugle qui tue....

    L'amour, toujours lui! La raison quitte les têtes bien faites, l'amour devient idée fixe et ronge le coeur...

     

                               MADEMOISELLE NINA

     

     

    L'Amour aveugle qui tue....Deux frères s’aimaient d’un amour profond. Des liens physiquesparticuliers leur avaient été imposé par une nature plus capricieuse que méchante.
    Leur mère mourut à leur naissance en blasphémant, en insultant la Vierge Marie épinglée sur le mur à la peinture délavée, face au lit. Mal lui en a pris car son agonie dura trois jours et deux nuits. Lorsque le sang
    s’arrêta de couler entre ses jambes, un dernier sursaut la fit se dresser etelle cracha sur un paquet de chiffons d’où sortaient des vagissements.Elle tendit une main exsangue vers les frères siamois, voulut crier encore sa haine puis se cabra, enfin délivrée.

    Sergio et Marco vinrent au monde unis par les hanches.
    Un chirurgien à peine habile aurait su les séparer. Mais dans cette région misérable de la Calabre du sud, les paysans aussi durs à la tâche que
    bornés, croyaient plus en la volonté du ciel qu’aux bienfaits du bistouri. D’ailleurs, à part les rebouteux qui connaissaient les mystères de la vie etde la mort, personne n’avait entendu parler de chirurgien. La seule différence pour ces gens là, entre l’agnelage et l’accouchement setraduisait par de la paille pour la brebis et des draps pour la femme. Le soleil, la sécheresse et leur misère héréditaire représentaient leur pain quotidien, pour le reste, à quoi bon se plaindre ? Qu’on le veuille ou pas,les jours succédaient aux nuits.
    Pendant l
    es premières années, Sergio et Marco n’attirèrent pas plus l’attention que les habituels agneaux difformes, avec pour unique différence, qu’eux ne furent pas sacrifiés.

    23

    Jeunes adultes, ils suscitèrent aussi bien l’admiration qu’une crainte sourde remontant à l’origine des temps. Les fins traits de leurs visages d’ange ravissaient les vieilles mamas édentées. Momifiées, assises sur les seuils sombres et frais, elles émettaient un genre de coassement sur le passage des frères, en décollant la pointe du nez de leur menton incurvé. La démarche saccadée soulignée par un halètement sur deux notes inspirait effroi et tourments aux âmes les plus superstitieuses, surtout lorsque la nuit tombante libérait les esprits et les démons qui reprenaient possession des terrains arides.

    Le comportement du village se modifia lorsque Sergio et Mario prirent la taille et la vigueur de jeunes adultes. Les vieilles mamas sur qui le tempsn’avait pas de prise continuèrent de coasser tandis que les autres sesignaient et se réfugiaient derrière leurs portes closes si par malheur ilsavaient croisé l’étrange couple dans les ombres du soir. Les signes de croix et les génuflexions se multipliaient si la lune splendide projetaitl’ombre fantastique sur les murs laiteux des façades.

    Sergio et Marco avaient dès leurs premiers pas hésitants gardés les moutons de la famille. Ils aimaient ce genre de vie, cette solitude austèreau milieu d’un troupeau tout à fait insensible à l’aspect de leur berger.
    La nature dans sa grande magnanimité avait fait don à Sergio d’une voix si exceptionnelle que lorsqu’il chantait, les anges du Paradis l’écoutaient,
    émus. Marco l’accompagnait en tirant de sa flûte les sons les plus purs,des mélodies tendres et poignantes à la fois.

    Une fois, un berger venu de l’autre côté de la vallée avec son troupeau secoucha entre deux murettes de pierres sèches afin de se protéger pendantla nuit de l’aigreur du vent de terre. Réveillé par des bêlements apeurés etles grognements de son chien, il se dressa sur un coude pour regarder autour de lui. La lune découpait de sa lueur métallique les moindres aspérités de la pente rocailleuse. Une simple touffe d’herbe, un petitcaillou prenaient des dimensions gigantesques. Il raviva son feu car des loups rôdaient encore dans cette région puis il se décida à faire le tour de

    24

    son troupeau. Le chien se colla à ses talons, il rampait presque sur le sol, la queue entre les pattes, les oreilles couchées. Le berger serra plus fortson bâton ferré, persuadé que des loups l’épiaient. Il grimpa le long d’unraidillon, prit position sur un monticule et là, il entendit une musique étrange. Il pensa immédiatement aux récits de son père, que celui-ci tenait de son père.

    Aux récits sur les esprits de la nuit qui attiraient les voyageurs isolés pour les dépouiller, les égorger et les damner. Les gémissements du chiens’arrêtèrent, il se figea, museau collé au sol. Le berger ressentit un grand malaise. Il avança de quelques pas et se retourna. Une silhouette monstrueuse le surplombait à courte distance.

    Il vit non pas un loup mais une créature de l’enfer à trois pattes et deuxtêtes qui chantait sur un air de flûte. Le pauvre homme tomba sur les genoux, se signa et récita son chapelet, les poings plaqués sur ses paupières closes.

    La nouvelle de l’apparition se répandit de vallée en vallée. Il fallut peu de temps pour qu’une légende se crée, agrémentée à chaque récit de nouveaux détails.
    Parfois, dans le silence parfumé du crépuscule, les deux frères se fixaient,
    éperdus d’émotion, la gorge serrée, des larmes dans les yeux,

    – Je t’aime Mario...
    – Moi aussi je t’aime, Sergio...
    Un après-midi, alors que les sauterelles bondissaient de plus en pluslourdement sous le soleil d’airain, Roberto, un cousin, arriva essoufflé,les cheveux plaqués par la transpiration. Il tendit le bras en direction duvillage et s’écria en bégayant,
    – 
    Le cirque ! Le cirque !
    Il se laissa tom
    ber sur l’herbe rase, le temps de retrouver son souffle.
    – Le cirque s’arrête dans notre village 
    ! Cette nuit ! Le directeur qui estvenu voir s’il y avait du fourrage pour ses animaux a dit que demain ilsdonneront la représentation !

     

    25

    Le cirque ! Les saints du Paradis nous aiment ! La mama a dit de vous prévenir, moi je file, je veux les voir arriver ! Demain ! N’oubliez pas !Sergio et Marco n’avaient jamais vu de cirque, n’avaient jamais entendu parler d’une telle chose mais l’excitation de Roberto gagna leurs esprits simples. Ils esquissèrent un pas de danse, se mêlèrent les jambes et chutèrent en riant.

    Les quelques dizaines d’habitants du village avaient quitté les champs beaucoup plus tôt qu’à l’ordinaire. Ils s’amassèrent autour de l’estrade enfaisant mine d’obéir à contrecœur à leurs épouses qui piaillaient, ils haussaient les épaules et prétendaient en avoir vu d’autres pendant leurservice militaire. Leurs yeux dévoraient pourtant les moindres faits etgestes des artistes. Un bruit parti d’on ne sait où laissa entendre que lecirque avait fait un triomphe à Rome, quelqu’un parla même de la visiteincognito de sa Sainteté le Pape...

    Quelques hommes plus hardis se .... suite samedi prochain...

    Partager via Gmail Delicious Technorati Yahoo! Google Bookmarks Blogmarks Pin It

  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :