• Fées et Mystères dans les Vosges (suite 5)

    Cinquième épisode de Fées et mystères dans les Vosges... Des lectrices m'ont dit avoir imprimé les épisodes précédents pour en faire la lecture à leurs enfants... Je les remercie, flatté et reconnaissant...

    La fin du bonheur?

     

     

    Fées et Mystères dans les Vosges (suite 5)Ida la Généreuse éprouvait un sentiment curieux. Les premières couleurs automnales enchantaient les yeux. Cèpes et girolles se frayaient un passage à travers le nouveau lit de feuilles mortes. La nature tout entière faisait la fête, rivalisait de couleurs et d’odeurs, avant le grand sommeil.

    Derrière cette apparence bienfaisante, sourdait un autre sentiment, fait de sensations diffuses, de signaux fugaces, comme si… Oui, comme s’il fallait se préparer à une période troublée. Ida la Généreuse se moqua d’elle-même. C’est le spleen de l’automne, se dit-elle, en sachant bien qu’elle se mentait. Ce qu’elle ressentait vraiment, c’était un grand malaise.

    L’étang du Devin prospérait sous la caresse d’un soleil voilé, mais chaud, encore. Des milliers d’insectes s’élevaient en colonnes bruissantes dans les rayons filtrés par la cime des grands sapins.

    Elle écoutait depuis un moment les cris excités de Moufi et de Moufa, les deux écureuils les plus dévergondés de la forêt. Elle pouvait les voir se jeter des pommes de pin, grimper et dévaler le long des troncs qui encerclaient le jardin magique. Le Marcheur était reparti, mais l’endroit conservait l’empreinte de serments et de soupirs.

    C’est en parcourant la forêt des deux lacs que la mère de toutes les fées fut prévenue, par Mélissa, la mésange bleue.

    •  Ida, c’est Nestor qui m’envoie. Il veut te rencontrer, encore aujourd’hui, il l’exige.
    •  Tiens donc, et que me veut-il ? Il exige ?
    •  Je ne sais pas, il n’a rien dit de plus, mais il avait une drôle de voix.
    •  Comment ça une drôle de voix, drôle comment ?
    •  Eh bien, il m’a semblé qu’il pensait à autre chose, en même temps qu’il te demandait. Il paraissait soucieux.
    •  Bien, puisque Nestor le veut, allons-y.

    Intriguée, Ida la Généreuse se mit en marche. Il n’était pas dans les habitudes de Nestor de lancer des convocations si abruptes. Un doute l’effleura. Serait-ce la révélation sur Hansi et sa mère Ingrid qui lui aurait dérangé les idées ? Ida secoua la tête. Cette hypothèse ne tenait pas, car l’intérêt de Nestor résidait plutôt dans un oubli confortable. Mais quoi alors ? Ida s’arrêta devant un massif de grosses mûres, bien noires, aux reflets bleutés. Elle en cueillit une poignée qu’elle dégusta lentement.

    Mais si… oui, si c’était au sujet de la petite fée aux grands yeux verts, du Marcheur et de la petite maison secrète ? Qui aurait parlé ? Même la Ragoteuse, la pie bavarde n’oserait faire du tort à Ida. Et si ce n’est pas cela, quoi donc ? Elle avait hâte maintenant d’arriver, pour se libérer d’une angoisse de plus en plus pressante. Plus elle se rapprochait, plus son malaise s’accroissait.

    Pour une oreille aiguisée, le silence apparent de la forêt profonde regorge de milliers de bruits, tous ces bruits témoins d’une vie très active. Même les longues colonnes de fourmis rousses indiquaient leur présence par un crissement continu de leurs griffes sur les tapis d’aiguilles. A chaque pas, cependant, la forêt se faisait plus silencieuse, comme si elle retenait son souffle, comme si le fait de se taire représentait une forme de respect. Ou de crainte ? Ou de peur ?

    Elle pouvait voir, maintenant, les anneaux de vapeur s’élever vers le ciel, à intervalles réguliers. Donc, ce n’était pas de la colère, mais une intense réflexion. En effet, de gros soucis devaient l’avoir mis dans cet état.

    Elle salua Nestor, sur un ton enjoué :

    •  Bonjour Nestor, Mélissa m’a dit que tu voulais me voir. Me voici, je t’écoute. Que se passe-t-il pour que ce soit si urgent ?
    •  J’ai discuté avec Hector et Victor, ils sont soucieux et inquiets.
    •  C’est plutôt rare de savoir qu’Hector, Grand Esprit des Vosges du sud, et Victor, Grand esprit des Vosges du Nord fassent part de soucis. Ils sont tellement pointilleux sur leurs prérogatives… Et quel est donc ce souci ?
    •  Cela fait deux jours, que l’un comme l’autre, n’ont plus de nouvelles de leurs lutins préférés. Ce n’est pas normal, personne ne les a vus. On dirait qu’ils se sont évaporés. Il faut interroger notre petit monde. Quand as-tu vu la petite fée aux grands yeux verts, pour la dernière fois ?
    •  Il faut que je te dise que Hansi l’a baptisée Gladys, mais pour répondre à ta question, c’était avant-hier, après-midi, pourquoi ?
    •  Et, euh, tu as sans doute vu, euh, le petit Hansi ?
    •  Mais bien sûr, Nestor, tu peux me parler, tu sais. Je suis très discrète, je te l’ai maintes fois prouvé, non ?
    •  Euh… tu lui as parlé à … euh… Hansi ?
    •  Non, Nestor, je ne le ferai que sur ta demande. Je l’ai simplement vu en compagnie de Gladys. Pourquoi toutes ces questions ?
    •  Je ne peux pas me débarrasser d’une inquiétude, Ida, vois-tu, c’est la première fois que mes collègues et amis me disent qu’ils sont inquiets. Cela ne s’est jamais vu. C’est pour ça que je veux te voir faire une tournée, en commençant par le lac de Gérardmer.
    •  Pas de problème Nestor, quand veux-tu que je parte ?
    •  Maintenant Ida, maintenant… et parle à … Hansi.

     

    Ida la Généreuse décida d’emprunter un autre chemin, en suivant les eaux de la petite Meurthe, puis le défilé de Straiture. Elle descendrait du col du Surceneux, capterait le reflet d’argent du lac de Longemer et arriverait rapidement au lac de Gérardmer.

    Elle n’avait pas voulu le reconnaitre de prime abord, mais maintenant, les paroles de Nestor faisaient leur chemin. Est-ce que cela avait un rapport avec le sentiment de confusion de ce matin ? Pourquoi s’inquiéter à ce point au sujet de lutins ? Tout le monde sait que les lutins sont de facétieux garnements. Ils auraient peut-être exagéré et poussé une plaisanterie trop loin ? D’un autre côté, si Hector et Victor s’entretenaient avec Nestor, il y avait de quoi réfléchir. Ils ne l’avouaient pas, mais ils se jalousaient, aimaient se faire valoir et gentiment dénigrer ce que faisaient les voisins. Non, pas cette fois, car en faisant part d’inquiétudes, ils reconnaissaient une faiblesse, ce qui n’appartenait pas du tout à leur caractère individualiste et indépendant.

    Ida la Généreuse traversa toute une zone humide, garnie de grandes touffes de joncs, d’un vert éclatant. Les truites, d’ordinaire si vives, si rapides, ne réagirent pas au passage de la mère de toutes les fées. Ils la connaissaient et se contentaient de la regarder de leurs grands yeux ronds bordés d’or. Des gardons aux nageoires rouge vif, se tenaient entre deux eaux, en aval d’herbiers dont les longs filaments ondulaient avec le courant. Un martin-pêcheur, dans sa belle livrée multicolore plongea du haut d’un saule et d’un rapide coup de bec, enleva un vairon distrait.

    Elle arriva en vue du lac de Gérardmer qui s’étalait de toute sa longueur, engoncé entre deux ailes de hauts sapins. Une légère brise irisait la surface de l’eau qui reflétait un ciel bleu sans nuages. Elle connaissait bien la cavité qui servait de chambre à Gladys, elle savait aussi que sa protégée aimait s’asseoir sur un rocher à l’extrémité du lac à contempler les bancs de perches, et à chantonner. Peut-être que Hansi lui tenait compagnie ? Elle allait lui parler, puisque Nestor l’y autorisait. En fait, cette possibilité l’enchantait et elle décida qu’elle allait beaucoup aimer le lutin. C’est lui qui avait eu la bonne idée d’appeler la petite fée Gladys, et ils semblaient si bien s’entendre. Elle enjamba d’un pas  léger un ruisselet, grouillant de crevettes d’eau douce, qui se jetait discrètement dans les eaux du lac. Les perches aimaient beaucoup cet endroit pour se gaver des crevettes emportées par le petit courant.

    Je vais la voir, après ces aulnes, pensa Ida, je devrais déjà l’entendre chanter, mais avec cette brise qui souffle dans l’autre sens… Le rocher apparut. Gladys ne s’y trouvait pas. Serait-elle souffrante ? Ida continua, escalada un talus couvert de ronces et trouva l’abri de Gladys. Elle ne s’y trouvait pas, mais un détail étrange l’interpela. Le coussin tissé par les araignées n’était pas là. Comme c’est étrange… Si Gladys et Hansi avaient décidé d’aller se promener sur les chaumes, cela expliquerait leur absence, mais pourquoi emporter l’oreiller ? Un sautillement sur la mousse attira son regard.

    •  Eh bien Mélissa, tu en as fait du chemin, aurais-tu un nouveau message pour moi ?
    •  Non, pas exactement. C’est Nestor qui est impatient, qui veut savoir si tu es arrivée, et si tu as parlé aux petits.
    •  Comme tu le vois, je suis seule. Hansi a certainement voulu montrer les chamois là-haut, sur les chaumes. Il n’y a qu’un seul chemin pour y aller, et c’est ce que je vais faire.
    •  Je dis quoi à Nestor ?
    •  Ce que je viens de te dire. Le temps d’y aller et de revenir au devin, la nuit commencera seulement. A plus tard.

    Ida trouva le chemin qui commençait juste à côté du ruisseau aux crevettes et qui serpentait entre sapins et épicéas. L’épais tapis d’aiguilles rousses transformait ses pieds en ailes de papillons. Deux blaireaux sortirent la tête de leur tanière, curieux comme des concierges. Ils connaissaient Ida la Généreuse, mais avaient rarement eu l’occasion de la voir de si près. Ils notèrent le visage soucieux et se perdirent en conjectures. Une belette et un écureuil, un peu plus loin, se firent la même réflexion. Que se passait-il ? C’est toujours dérangeant quand l’ordre des choses est bousculé.

    Un ciel sans nuage apparut brusquement, au sortir de la forêt. Le chaume montait en pente douce vers l’horizon en mélangeant le vert foncé de l’herbe courte à l’azur du ciel. L’optimisme forcé de la fée se transforma en sourde crainte qui s’empara de son cœur, pour le faire battre plus vite. Il y avait bien une harde de chamois qui levèrent de grands yeux curieux et qui ne consacrèrent que quelques instants au passage d’Ida.

    Il n’y avait personne, à part les chamois et une buse qui volait, très haut et tournait en cercles concentriques. Accablée par un pressentiment indéfinissable, elle ne pouvait admettre ce que son instinct lui criait. Il était inconcevable de retourner au Devin, dans ces conditions et dire à Nestor :

    •  Je suis désolée, mais je ne les ai pas trouvés. Ni Gladys, ni Hansi…

    Il y avait forcément une explication. N’avait-elle pas fait le tour du lac trop rapidement ? C’est vrai, Gladys aime s’asseoir sur ce rocher, en se plaisant à croire que les bancs de perches lui faisaient la cour. Non, ce doit être Hansi qui a voulu faire découvrir une autre facette du lac. Oui, mais dans ce cas, pourquoi emporter le coussin ? La réponse arriva, fulgurante, tellement simple, tellement logique ! Que suis-je bête, se sermonna Ida. Hansi a trouvé un autre abri pour Gladys, un endroit plus spacieux, plus sec. Il ne restait plus qu’à trouver cet endroit, ce qui devrait être facile, et en se dépêchant, elle pourrait annoncer à Nestor de bonnes nouvelles, avant le crépuscule.

    Les deux blaireaux s’étonnèrent du pas rapide de la fée qui semblait plus voler que marcher dans le sentier sinueux. Le soleil, à la verticale, transformait la surface lisse du lac en un miroir aveuglant, et lui donnait des airs de mer intérieure.

    Voyons, par où vais-je commencer ? Je vais faire le tour dans le sens inverse, j’aurai sûrement de la chance. Elle passa non loin d’un pont aux pierres couvertes de mousse, qui enjambait un ruisseau fort agité. Ida s’arrêta et fixa le pont, comme s’il était traversé par des personnages invisibles. Une vieille légende appartenait à ce pont, le pont des fées, et contait l’horrible aventure d’un noble désargenté, mais beau comme un astre. Une fée hideuse, se transforma en princesse désirable, le temps d’attirer le jeune homme, pour se précipiter avec lui, dans les eaux glacées, d’où il ne revint jamais. Il ne s’agissait là que d’une légende, cependant, nombre de jeunes hommes célibataires préféraient faire un détour, pour ne pas traverser le pont.

    Ida haussa les épaules, ces fadaises pour gens crédules n’avaient rien à voir avec son problème. Elle longea une roselière profonde, qui lui cacha la vue sur le lac. Toute une famille de poules d’eau s’activait entre les pieds des roseaux, à la recherche de mollusques, tandis qu’un martin-pêcheur observait le remue-ménage qui débusquait à son profit, du menu fretin savoureux.

    En d’autres circonstances, Ida se serait arrêtée pour se régaler de ce spectacle aquatique, mais le temps pressait. Juste après la roselière, son regard embrassa le lac sur toute sa longueur, et là, elle constata que le rocher préféré de Gladys ne portait pas la petite fée. Sachant qu’elle allait trouver l’abri vide, elle y alla quand même, la mort dans l’âme. Ida étouffa un sanglot.

    Que s’est-il passé ? Où étaient-ils ? Hansi, tout comme Gladys savaient bien qu’ils ne pouvaient dépasser les limites, qu’au-delà, ils pénétraient en territoire interdit et s’exposaient à une terrible punition. Ida s’assit sur la berge, le regard sur le rocher, un rocher vide, un rocher qui s’illumina lentement sous l’éclairage beurré d’une lune pleine. Le temps avait filé si vite !

    Les milliers d’étoiles se miraient sur la surface noire du lac, la nuit était totale. Les yeux dorés des animaux nocturnes s’allumaient et s’éteignaient, comme des lampes, à chaque battement de paupière. Une hulotte commença à égrener les heures de la nuit. Une étoile filante cingla le noir du ciel. La nuit était bien installée, et Ida n’avait pu se résoudre à quitter le lac. De conjecture en conjecture, elle était arrivée à une conclusion qui lui glaçait le sang. Gladys et Hansi étaient soit retenus contre leur gré, ou pire, ils auraient été enlevés. C’est ce qui était le plus effrayant.

    En effet, les humains ne pouvaient voir les esprits de la forêt, ils étaient donc incapables de se saisir de ce qu’ils ne voyaient pas. Donc… Oui, hélas, la réponse s’imposait : seuls des esprits pouvaient s’en prendre à d’autres esprits.

    Mais qui ? Mais, surtout, pourquoi ? Les réactions alarmistes d’Hector et de Victor prenaient dès lors un tout autre relief.

    Quel mal frappait les Vosges ?

    Recroquevillée au pied d’un aulne, Ida la Généreuse s’assoupit lorsqu’un grand froissement dans l’air, la réveilla en sursaut. Elle reconnut Jeremy le Grand-Duc, qui l’observait avec beaucoup d’inquiétude, dans son regard perçant.

    •  On se fait du souci, Ida. Mélissa nous a dit que tu serais rentrée avant la nuit, tu ne peux pas savoir tout le mauvais sang qu’on se fait. Alors, quelles sont les nouvelles, où sont nos protégés ?
    •  Hélas, Jeremy, les nouvelles sont mauvaises. Je suis allée jusqu’aux chaumes, j’ai fait deux fois le tour du lac, sans voir ni Hansi, ni Gladys. Ce que je ne comprends pas, c’est que Gladys a emporté son oreiller… Jeremy, j’ai peur…
    •  Ne te rends pas malade, Ida, il y a forcément une explication, et ce qui semble un mystère, sera résolu demain. Je vais rentrer, rassurer de mon mieux Nestor, qui va sans doute faire une crise, ensuite, je reviens et termine la nuit avec toi. Je préviens aussi Helmut, comme ça, nous serons trois pour faire des recherches. A tout de suite, Ida.

    Quelques battements d’ailes suffirent pour que Jeremy se fonde dans la nuit. Un long nuage, plus noir que le ciel coupa la lune en deux, puis, progressivement, effaça la froide lumière. D’autres nuages masquèrent les étoiles, une à une. La surface du lac devint aussi noire que le ciel pour ne faire qu’une seule masse impénétrable. L’obscurité intense pouvait se toucher du bout des doigts.

    Ida posa la tête sur ses genoux relevés. Les paroles de réconfort de Jeremy ne l’avaient pas rassurée, bien au contraire. Le jour venu, le mystère resterait entier, elle en était persuadée. 

    Complètement investie dans ses tristes pensées, Ida ne remarqua pas le silence soudain, un silence épais, presque irréel. Les mille et un bruits de la nuit avaient été avalés par l’épouvantable obscurité. Comme si une main géante avait posé un couvercle sur le lac.

    La procession de nuages continua son chemin et libéra la lune qui inonda le paysage de sa clarté fragile. C’est à ce moment que Jeremy arriva, en déployant ses grandes ailes. Ses puissantes griffes se plantèrent dans une branche basse de l’aulne, tandis que sa tête pivotait de gauche à droite.

    Ida avait quitté le pied de l’arbre, seule l’herbe couchée attestait de sa présence en ce lieu. Un reflet vif sur la surface des eaux calmes attira l’attention de Jeremy.

    Impossible de se tromper. Il s’agissait bien du foulard d’Ida.

    Elle n’était nulle part. Il fallut se rendre à l’évidence.

    Ida la Généreuse avait disparu.

     

    ... à suivre...

     

     

     

     

     

     

     

     

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