• ...ce monde pourri (Suite et Fin)

     

    L'aveugle de la fontaine

    Suite et fin...

     

     

    Otez de ma vue ce monde pourri... Certains souhaits ne devraient être formulés qu'après mure réflexion...

     

     

     

    L’étranger arriva dans une ruelle fermée par un haut mur gris. Il ...ce monde pourri (Suite et Fin)cruts’être égaré bien que sans but précis et voulut rebrousser chemin lorsqu’une voix l’interpella,

    – Dites donc, où allez-vous ? Qui êtes-vous ?
    Un petit homme tremblant comme un chien mouillé était assis dans

    un coin sombre devant une table dont le bois blanc avait sucé degrosses taches d’encre noire et rouge.

    Un livre aux pages grignotées sur les bords prenait toute la largeurde la table. Les yeux plissés et scrutateurs d’une sorte de greffier évaluèrent rapidement l’importance de la rencontre.

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    – Moi ? Je ne suis personne en particulier, je cherche... Et vous ? Que faites-vous là ?

    – Êtes-vous bien certain de n’être personne ? Comme cela tombe à point...

    Le triste personnage se gratta le nez, sa voix grinça d’un plaisir àpeine contenu,

    – Nous avons justement quelques cas ennuyeux pour des amis, non élucidés... Voyez-vous, nous avons besoin de coupables actuellement...Vous avez entendu parler de ces sommes colossales d’argent publicévaporées dans quelques paradis... Nous devons aider des amis quitiennent à leur virginité dans l’opinion. Oui, je sais, notre métier a parfois de curieuses exigences, vous comprenez que ce n’est pas la veuve et l’orphelin qui nous font vivre... On pourrait s’entendre,vous faire condamner ? Que risquez-vous puisque vous n’êtes personne? Vous aurez droit à beaucoup d’égards en prison et puis,ça passera si vite ! On pourrait ainsi classer plusieurs affaires embêtantes. Qu’en dites-vous mon jeune ami ?

    L’étranger haussa les épaules. Il cherchait une réponse cinglante quand un grand chahut lui fit perdre le fil de sa pensée. Tous lestribunaux déversèrent des groupes d’hommes et de femmes qui riaient,s’interpellaient. Il entendit un jeune avocat au visage dévoré par l’envieféliciter obséquieusement un vieillard à la mâchoire carrée.

    – Félicitations Monsieur le Procureur, cinq perpétuités depuis ledébut de l’année ! Reconnaissez toutefois que mon client ne la méritait pas, il est innocent et vous le savez, vous vous êtes acharné sur lui.

    Le magistrat éclata de rire.
    – Bien sûr qu’il est innocent ! Mais que voulez-vous, je devais vous

    donner une leçon, on ne plaide pas quand on manque de conviction ! Votre plaidoirie était nulle !

    Il se retourna et inclina le buste.
    – Tiens, voilà Madame la Jam, alors ma chère vous avez assassiné

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    combien d’hommes aujourd’hui ?
    – Quatre. Je me suis bien régalée avec le dernier, il portait la même

    cravate que mon saligaud de mari quand il est parti avec les meubles et sa maîtresse ! Tant pis, sa tête ne me revenait pas, je crois bienque je l’ai ruiné. C’est sa femme, une folle mythomane et affabulatrice qui n’ en est pas revenue. Elle rafle le gros lot !

    Les avocats pouffèrent de rire.
    – Bravo Irène, continue comme ça, on aura du pain sur la planche,

    vive les jugements, les appels et les provisions !
    Un homme en noir s’approcha de l’étranger. Il se pencha pour lui

    parler à l’oreille,
    – Je crois que vous n’êtes pas connu ici, je viens de parler au greffier.

    J’ai besoin d’un témoin de moralité pour un de mes clients accablépar une affaire de pédophilie... On peut s’arranger, c’est quelqu’unde très bien, un bon vivant, il a de gros moyens...

    L’étranger ne répondit pas, démoralisé, dépité. Il se fraya un chemin parmi les vendeurs d’espoir. Il pleura à nouveau. Il en avait assez.

    Un vertige le saisit. Il lui sembla être agrippé par mille mains. Unedouleur atroce lui vrilla le front, il s’entendit hurler avant desombrer dans le noir.

    Une sensation de fraîcheur sur son visage le fit bouger et gémir. Il tenta de se lever mais une main ferme le repoussa fermement.

    – Ne bouge pas, ne t’agite pas, repose-toi... Ne t’en fais pas, nousserons bien ici tous les deux... Ne regrette pas tes yeux, ils neservaient qu’à te faire souffrir...

    Longtemps après, le vieillard posa des questions à son compagnon. Il essaya vainement de le faire parler. Celui-ci ne répondit jamais. Le vieil aveugle passa de longues journées à monologuer, à supplier. Ilavait tant prié pour qu’un ami vienne partager sa solitude. Il necomprenait pas ce mutisme farouche.

    Il sanglota puis étrangla l’étranger.

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