• Avec un peu de retard, certes, mais pour la bonne cause : j'ai préparé un pot au feu dont mes papilles vont se régaler... Il y'a peu, il faisait 27° à midi, ce jour, à peine 5°! Allez expliquer aux bourgeons qu'il ne fallait pas confondre vitesse et précipitation!

    La cocotte exhale un fumet, je ne vous dis pas... Il est tombé de la neige cette nuit, sans discontinuer, avec 10 cm devant la porte... Bon dimanche...

     

     

     

     

     

    La saga de Luc (vol. 1)

    Disponible aux Editions Les3colonnes

     

     

     

    La Weideheck - Les orties - Le berger - Cécile arrive

    Le Camembert aux asticots

     

     

     

     

     

     

    La Saga de Luc (suite) Elle fumait des BaltosIls méditèrent un instant sur l’humanité grouillante de salauds et de salopes, de femmes prises et des autres.  

    - C’est pas tout ça, on fait quoi maintenant, demanda Luc.

    - Je sais, j’ai une idée, je sais où il y a des grenouilles, viens, on y va. Je parie que tu ne connais pas.

    - Dommage, c’était bien la cabane et le ruisseau, qu’elle était froide!

    - Oui, c’est bien dommage... Et dire que si ces imbéciles n’étaient pas arrivés, on aurait tatata...

    Luc ne releva pas l’allusion, il préféra courir.

    - C’est là, pas si loin, tu passes devant!

    Seule une ceinture basse de pierres de taille, enchâssée dans une mer d’ortie marquait l’emplacement des fondations d’une maison.

    - Elles sont où tes grenouilles?

    - Suis-moi, je vais te montrer.

    Lucie se faufila de côté dans un étroit passage entre deux murs d’orties qui leurs arrivaient jusqu’à l’épaule.

    - Fais gaffe, ça pique vachement!

    - Pas besoin de me le dire, je ne suis pas bigleux.

    Ils montèrent sur le mur, une dalle en béton crevée en son milieu rappela à Luc son quartier général. Que pouvaient bien faire ses potes en ce moment?

    - Tu vas voir, il faut se glisser, c’est plein d’eau et il y a toujours des grenouilles et des salamandres.

    Ils se penchèrent sur le trou noir et la forte odeur d’eau croupie qui en remontait.

    - Tant mieux s’il y a des grenouilles, mais moi je ne descends pas dans ce truc, c’est plus noir que le trou du cul d’un nègre!

    - Mauviette, c’est toi le trou du cul, j’y vais bien, moi.

    Lucie se laissa tomber.

    - Mhh, elle est bonne, elle est fraîche, c’est formidable, viens donc! Je t’assure que c’est un régal!

    Luc ignora la voix caverneuse, occupé à attraper de grandes sauterelles vertes.

    - Tiens! C’est pour toi!

    Lucie se dégageait du trou en faisant tournoyer un rat crevé par la queue.

    - Lâche ça, c’est dégueulasse!

    - Je vais te le mettre sous le nez, mauviette, chantonna Lucie.

    Luc tenta d’esquiver les moulinets, battit en retraite pour se réfugier à un angle de la dalle.

    - Tiens, attrape!

    Lucie balança la bestiole aux grandes incisives blanches découvertes vers son cousin. Il ne se baissa pas assez vite, la longue queue lui fouetta la joue. Debout à l’extrême limite de la dalle, son mouvement de recul incontrôlé lui fit perdre l’équilibre, et il bascula, les bras en croix. Les hautes orties avalèrent son corps quasiment nu. Le léger frémissement irisé des têtes courbées se transforma immédiatement en tempête. Le premier cri de surprise de Luc se coinça au fond de la gorge, un râle profond monta en puissance, son hurlement prit les sonorités d’une sirène d’usine. Il bondit comme un ressort fou, piqué, brûlé de toutes parts. Chaque mouvement provoquait d’autres caresses de feu. Ses gestes instinctifs pour se protéger le visage découvraient la chair tendre sous les bras qui devenait une proie facile pour les feuilles en colère. Les tiges rugueuses s’enroulaient autour de ses poignets et ses chevilles, d’autres lui fouettaient le dos, le ventre et les jambes. Aveuglé, ses bras frappaient au hasard, repoussaient des orties pour en libérer d’autres qui lui balayaient le visage en lui déposant des baisers incandescents.

    - Par là! Par là! criait sa cousine en espérant vainement le diriger hors de la ceinture de feu.

    Luc n’entendait rien, ne voyait rien, il se débattait dans les flammes de l’enfer. Ses bonds désordonnés le sortirent malgré lui de la fournaise, sans qu’il s’en rende compte. Il roula sur l’herbe et se figea, les genoux relevés jusqu’au menton, les deux poings fermés sur les yeux, en position de fœtus. Un grondement plaintif sortait de ses narines dilatées, un rictus découvrait ses dents serrées. il se consumait, écoutait l’incendie qui le dévorait. Tout son corps boursouflé, rougi, vibrait comme le couvercle d’une marmite sous pression. Lucie tournoyait autour de son cousin, impuissante, horrifiée par les cloques, par les tremblements saccadés des bras et des jambes. Ce n’était plus Luc qu’elle voyait, mais une sorte de grosse larve rouge de doryphore. Elle se sauva, prise de sanglots désespérés. Quelques instants plus tard, le garçon remarqua à peine qu’il était roulé dans une couverture et soulevé par des bras puissants. Ses yeux gonflés ne pouvaient plus s’ouvrir, les sons lui arrivaient de loin, atténués, il vivait de l’intérieur, depuis le centre du brasier. Le voisin l’installa sur une chaise de la cuisine. La grand-mère choquée étouffa une plainte. Madame Musack arriva, regarda le monstre et ordonna calmement,

    -  Le vinaigre.

    Elle tamponna tout le corps, s’attarda sur le visage, recommença et recommença encore, des pieds à la tête. Le feu perdit de sa hargne, les flammes refluèrent mais les braises tenaces rougeoyaient et reprenaient de la force au rythme des pulsations de son cœur. Il continuait de brûler, mais en même temps des ondes glacées le secouaient. La chair de poule déferla en vagues serrées depuis les orteils jusqu’à la racine des cheveux. Ses dents s’entrechoquèrent avec violence. Luc n’avait pas prononcé une seule parole. Le grand-père l’enveloppa dans une autre couverture, le porta sur le lit et le recouvrit du gros édredon. Il entendit des paroles apaisantes en allemand et s’endormit dans une coulée de lave. Lorsqu’il se réveilla, le soleil brillait, les cloques avaient disparu, il inspecta ses bras, son ventre, ses jambes. Rien, plus rien, sa peau lisse et bronzée le fit douter. Il s’assit, repoussa l’édredon qui l’étouffait, fixa le vide. Avait-il réellement fait ce voyage en enfer? Pensif, il entra dans la cuisine. Lucie et la grand-mère le scrutèrent en silence, raidies par l’appréhension. Leurs visages se détendirent.

    - Dis donc, accusa Lucie, à cause de toi on a du faire tintin pour la salade hier soir, plus de vinaigre, tout pour monsieur!

    Luc sourit, gêné par les regards chargés de tendresse, il bomba le torse, frappa du poing sur la table.

    - C’est pas tout ça, je la saute, j’ai une faim du tonnerre de dieu!

    Pendant plusieurs jours, les voisins le saluèrent avec beaucoup de gentillesse, surtout les femmes dont les voix émues valaient toutes les médailles de bravoure. Le père Forfer lui lança un très viril,

    - Salut la terreur des orties! Tu es un vrai grand chef maintenant, tu as passé l’épreuve du feu comme le dernier des Mohicans, je te baptise Ortie Galopante! ( à suivre )

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    Enfin un jour digne du printemps! Il fait déjà 20°, avec une forte brise venant du sud... Je prépare actuellement une superbe bolognaise, laurier, thym, oignon, lardons et tout et tout... Bon dimanche et ... bon appétit!

     

     

     

     

     

    La saga de Luc (vol. 1)

    Disponible aux Editions Les3colonnes

     

     

     

     

     

     

    La Weideheck - Les orties - Le berger - Cécile arrive

    Le Camembert aux asticots

     

     

    Lucie débarrassa la table, passa un chiffon humide sur la toile cirée, presséeLa Saga de Luc ( suite ) Elle fumait des Baltos d’en finir.

    - Hop! On va à la Weideheck!

    - Vous allez transpirer, vous allez avoir trop chaud, en plus vous allez vous mouiller. A votre place je me mettrai en slip, vous vous sentirez mieux.

    - Très bonne idée.

    La robe de Lucie vola sur une chaise.

    - Et alors, tu attends quoi pour te déshabiller? Tu n’es pas à la ville ici, tu en fais bien des manières!

    Luc hésita, puis s’exécuta de bonne humeur.

    Il ne le regretta pas, l’extérieur ressemblait à un four avec ses ondulations de chaleur sur la route tordue et un silence pesant. Les volailles se terraient dans la moindre parcelle d’ombre, tous les volets étaient clos, les jardins désertés.

    Des vagues d’air surchauffé attaquaient les narines et dilataient les poumons agressés. Lucie leva un doigt et affirma,

    - J’ai entendu à la radio, il doit faire au moins 33°, et même plus aujourd’hui, c’est pas de la rigolade, ils le savent très bien sur Radio Sarrebrück.

    Luc s’en moquait, il songeait à l’eau, à se rafraîchir, au soulagement qui le gagnerait une fois qu’il aurait trempé ses pieds dans le ruisseau. Les limaces avaient certainement batifolé toute la nuit, pendant l’orage, sans se soucier des distances. Leurs corps déjà noircis sur l’herbe chauffée à blanc traçaient une piste de la mort jusqu’à un restant de feuilles de choux. Lucie les retourna une à une, du bout d’une brindille tout en prononçant leur oraison funèbre.

    - Les salopes, elles s’en sont foutu plein la panse, c’est bien fait, autant de moins à écraser.

    La Weideheck se lovait entre deux vallons, non loin du chevalet de la mine. Des haies denses d’arbustes serpentaient le long du ruisseau alimenté par les eaux pompées dans les galeries profondes. Curieusement, le vert foncé des feuillages s’arrêtait net au fond des pâturages, en fait, le ruisseau regagnait le sein de la terre, sans doute dans une des fouilles abandonnées.

    - Tu vois, je te l’avais dit, c’est bath, hein?

    Luc jugea en connaisseur le travail. Lui et sa bande n’auraient pas été capables d’arriver à un tel résultat. Un plancher en branches croisées, liées avec de la ficelle recouvrait toute la largeur du ruisseau. Trois parois verticales se dressaient, soigneusement assemblées selon la même technique. L’ensemble faisait penser à une grande cage suspendue, sertie de feuillage. Ils y entrèrent, peu rassurés par le bruit de cascade et la souplesse du plancher. Ils s’assirent sur les branches, jambes pendantes dans le courant visible à travers les interstices. Ils s’écrièrent à l’unisson,

    - Merde! Qu’elle est froide!

    L’eau glacée sembla éjecter leurs pieds tant le contact fut violent. Luc et sa cousine observèrent leurs grimaces mutuelles.

    - On essaie encore un coup, un, deux, trois!

    Après plusieurs tentatives coupées de rires et de cris, ils goûtèrent la fraîcheur en silence. Le ciel cuisait au-dessus des feuilles tremblantes, des  mèches de mousse accrochées sur le lit pierreux ondulaient comme de longs cheveux verts.

    Assis face à face, en appui sur les bras écartés, les deux enfants offraient leur visage à la pluie de soleil qui perçait les frondaisons. Un sentiment très fort de contentement et de plaisir envahit Luc, c’était un sentiment nouveau, fait de plénitude et de sacré. Un instant comme celui-là devrait durer une éternité pensa-t-il, ne plus voir les laideurs, ne plus entendre les horreurs, vivre dans un paradis réservé aux enfants...

    Le courant irrégulier levait parfois sa jambe et son pied venait frotter le mollet de Lucie. Il exagéra un peu l’amplitude et la fréquence des contacts, certain qu’elle allait en profiter pour sortir ses griffes. Elle lui dit calmement,

    - Si tu veux, je te montre ma zézette, et toi tu me montres ton zizi.

    Luc fixa Lucie qui l’observait avec un petit sourire moqueur. Décontenancé, mal à l’aise, il tenta de lire sur le visage de sa cousine. Des frissons désagréables lui rappelèrent les paroles du pasteur sur le fruit défendu, les péchés de la chair, sur la tentation et les manigances du Malin. Il devait bien admettre qu’il n’avait aucune idée sur la représentation du péché de chair et avait très vite éliminé cependant, l’image d’un individu se gorgeant de viande et de saucisses. Il se souvint d’un film où des romains fêtaient une victoire sur les barbares, les chefs valeureux mangeaient et buvaient, et comme par magie, ces grands soldats devenaient idiots parce que des danseuses se trémoussaient en faisant tournoyer des voiles transparents. Tout cela donnait à réfléchir.

    - Alors, Tu commences ou je commence? On le fait en même temps?

    Une voix commanda à Luc: ne le fais pas, c’est une conne, dès la prochaine brouille, elle ira tout raconter. Lucie souriait encore, mais ses yeux trahissaient son impatience et une colère qui ne demandait qu’à exploser. Luc ricana pour dissiper sa gêne.

    - Eh les morveux, on ne vous a pas invités! Qu'est-ce que vous foutez là? Vous jouez à touche-pipi? Tirez-vous ou on vous balance dans la flotte! Ouste!

    Les quatre grands, des gars qui venaient des baraquements en bois près de la mine, les lorgnaient, menaçants. Une fille plus âgée lança une œillade aux enfants. Luc la reconnut, une belle fille avec de longs cheveux noirs et un regard effronté. Son corsage très échancré contenait à peine des gros seins dorés par le soleil. Le garçon se rappela l’avoir croisée dans les champs, l’an passé, et sa grand-mère avait marmonné, “ encore un polichinelle dans le tiroir cette traînée “.

    Luc et sa cousine ne se firent pas prier pour filer dans les prés jusqu’en haut de la butte. Il leur avait été souvent dit de ne pas s’approcher des baraques : des romanos, des étrangers arrivés dans les bagages de la guerre, des moins que rien, pire que des Polonais.

    - Les vaches, ils nous auraient foutu à la flotte sans broncher.

    - Oui, mais ils nous auraient torturés avant, et ils m’auraient violée... Je l’ai bien vu, c’est des vicieux...

    - Violée? C’est quoi ça?

     - Ah ne fais pas celui qui ne sait pas, tu te moques?

    - Battue? Passée à tabac?

    - Tu es vraiment une bécasse, violer une femme, c’est l’obliger à faire un enfant, nigaud!

    - Si ce n’est que ça, faut pas en faire tout un plat, parce que je peux te dire qu’il y a beaucoup de femmes violées dans mon quartier. J’en entends souvent à l’épicerie ou chez le boulanger se plaindre d’être prises, mais qu’elles allaient faire avec, alors tu vois, ce n’est pas un drame.

    - Pas un drame, Et tu crois que je veux un enfant à mon âge?

    - Ah oui, ça c’est une autre paire de manches, les vaches! Tu crois qu’ils l’auraient fait?

    - Qu’est-ce que tu crois, tous les hommes sont des salauds!

    - Ouais, je veux bien, c’est ce que disent les femmes, moi j’entends beaucoup d’hommes dire que les femmes sont toutes des salopes, pas une pour racheter l’autre, alors... ( à suivre )

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  • Les jardins commencent à briller de 1000 oeufs plus ou moins bien cachés sous les branches, dans les herbes, pour le plus grand émerveillement des enfants, dès demain...

     

     

     

    La saga de Luc (vol. 1)

    Disponible aux Editions Les3colonnes

     

     

     

    Les rapides de Lorraine - Le cochon - Le mirabellier

    L’armoire à linge - Saint Nicolas

    La fosse à purin (suite )

     

    Il y avait tant de colère résignée dans le ton, que Luc s’estima coupable de neLa Saga de Luc ( suite ) Elle fumait des Baltos pouvoir apporter une réponse. Tout ce qu’il savait, c’est que son grand-père ne voulait plus voir sa fille, pour des raisons qui lui échappaient. Lucie le lui expliqua, avec l’assurance d’une grande.

    - Mais oui, le grand-père ne veut plus la voir parce qu’elle vit à la colle avec Maurice. Et pourquoi tu crois que ma mère ne vient jamais? C’est pareil, elle aussi vit à la colle! Faut pas s’en faire, c’est comme ça, et nous on n’y peut rien.

    Un soir, Luc remarqua,

    - Elle est drôlement solide la porte de la basse-cour, c’est la plus costaud de toutes, tu sais pourquoi grand-mère?

    - C’est ton père qui avait insisté quand il a aidé le grand-père à l’installer, et il a eu bien raison...

    - Ah bon? Tu as connu mon père?

    Le visage se ferma, elle répondit comme un reproche,

    - Oui, c’était quelqu’un de bien ton père, trop bien pour ta mère, quand j’y repense...

    - Quoi? Pourquoi?

    - Pour rien, tu apprendras tout ça bien assez tôt, ça ne regarde pas les enfants.

    Elle resta sourde à toute autre question, laissant le champ libre à des interrogations et des conclusions qui allaient du meilleur au pire. Qui était son père? Un grand chef de bande émigré en Amérique du sud? Non, il l’avait vu, il y a longtemps certes, à Saint Raphaël, mais depuis? Il pourrait être un espion en mission spéciale?... Et s’il était gardé au secret, dans une prison, comme le masque de fer? Quel que soit le cas de figure, un signe, rien qu’un signe de ce père lointain, et il volerait à son secours. S’il le fallait, il mettrait sa bande à disposition, Jeanjean et Pinpin en seraient, sans hésitation. Un doute subsistait pour le petit Yvan, il ferait des manières, il ne saurait pas se passer de son “Furax” quotidien. Luc haussa les épaules. Que faire s’ils devaient monter une expédition en Amazonie et se trouver coincés sur une pirogue, au milieu d’un fleuve infesté de piranhas, encerclés et attaqués par des Jivaros? Que faire si ce rigolo levait le pouce et disait “Stop, je dois écouter mon émission Furax”? Trop risqué. Non, il irait seul, Jeanjean et son frère deviendraient vite une charge, Pinpin surtout, lui qui craignait les araignées comme la peste, il ne tiendrait pas le choc. Que dire des anacondas et des alligators? Il faudrait sans arrêt sauver la vie des deux frères, combattre des monstres, armé de son Opinel, non, cela le retarderait trop. Il devait absolument trouver le trésor des Incas, mais seul, pour pouvoir payer la rançon qui libérerait son père. Le rendez-vous avec les ravisseurs aurait lieu dans une clairière sacrée des Jivaros, au milieu de squelettes survolés par des charognards. Il resterait impassible, assis sur un monticule de crânes blanchis par le soleil, sa Winchester dans le creux du bras. Le scénario se précisa. Deux types basanés, aux regards de tueurs sans foi ni loi, essayaient de l’impressionner en tripotant des revolvers gros comme des canons. Il restait sur le qui-vive, observait les sourires fourbes, les mains nerveuses et moites des desperados qui échangeaient des paroles lourdes de sous-entendus en espagnol. Les patates, pensa Luc, il avait potassé son Assimil chaque nuit à la lumière des flammes de son bivouac, il ne se laisserait pas berner... De plus, il leur réservait une surprise de taille s’il leur venait l’idée de jouer aux méchants... D’ailleurs, le scénario se précipitait.

    Le plus grand, un barbu aux dents jaunies par le tabac à chiquer, claqua des doigts,

    - Montre nous ton or fiston, qu’on en finisse! Luc donna un coup de crosse contre un tas de tibias qui s’écroulèrent dans un nuage de poussière. Les émeraudes, les rubis et les colliers en or scintillèrent dans les yeux avides. La tension monta brusquement. Les vautours entamèrent une ronde au-dessus de la clairière sacrée. Les deux visages déformés par la convoitise, se rapprochèrent, menaçants.

    - Halte! Rendez-moi d’abord mon père, vous aurez le trésor ensuite!

    Ils ricanèrent, leurs mains effleurèrent les crosses nacrées de leurs gros calibres.

    - Finie la rigolade fiston! Tu n’auras pas le temps de nous descendre tous les deux, alors sois raisonnable, sinon... ne nous oblige pas à...

    Luc les dévisagea avec mépris, posa lentement sa Winchester sur le sol et leva le bras à la verticale. Toute la clairière s’anima, les buissons s’avancèrent sous les yeux ébahis des desperados. Le mouvement concentrique se transformait en un piège. Les branchages tombèrent. Ils étaient encerclés par une tribu de Jivaros aux visages striés de couleurs vives, les sarbacanes en position de tir.

    - Ne nous oblige pas... à quoi, martela le garçon,

    - Rien, rien, on plaisantait seulement fiston, tu te fais des idées, hein José, on plaisantait, c’est tout...

    Incapable de camoufler sa peur abjecte, José approuvait. Les crapules!

    Ils n’étaient pas censés savoir que Luc avait sauvé le fils mourant du chef grâce à sa trousse de médicaments. Tout comme Tarzan qui avait subjugué un chef Zoulou avec de la quinine trouvée dans la carlingue d’un avion tombé dans la jungle. Adoré comme un dieu, le garçon savait que les indiens se feraient tuer jusqu’au dernier pour le protéger. Et ces deux minables qui osaient le menacer! Et cette enflure de petit Yvan qui aurait tout gâché pour écouter son feuilleton radiophonique!

    Luc s’impliquait avec tant de force dans ses rêves éveillés, il les vivait avec tant de fougue et de passion, qu’il s’endormait exténué sans arriver au bout de son aventure. A chaque fois, une pointe d’amertume troublait son réveil. La concentration du matin ne valait pas celle du soir, le fil de l’histoire lui échappait ou perdait toute sa consistance pathétique.

    La grand-mère se fâcha.

    - Vous n’allez pas dans les prés ce matin, tout est mouillé et vous aurez les pieds trempés. Vos chaussures vont finir par pourrir. Surtout toi Luc, tu n’as qu’une paire de baskets, d’ailleurs, il y a deux paniers de haricots à écosser. Vous sortirez lorsque vous aurez terminé, et ce n’est pas la peine de discuter.

    Les deux enfants s’assirent sur une couverture et contemplèrent la montagne de haricots en soupirant. Des cosses craquantes jaillirent des haricots brillants qui sautaient dans tous les sens. Lucie récupérait les siens d’un rapide mouvement de main, sans en oublier un seul. Elle travaillait plus vite sous le regard envieux de son cousin dont le tas ne dégonflait pas.

    - Tu es une tricheuse, les tiens sont plus secs, c’est de la triche!

    En fait, il regrettait son mauvais choix, son panier ne contenait que des haricots blancs, pâles et tristes à coté de ceux de Lucie, d’un rouge-brun veiné de blanc somptueux. Sa mauvaise foi autant que sa mauvaise humeur ravissaient la cousine dont les gestes rapides et précis, plus que son sourire narquois équivalaient à un bras d’honneur.

    - Eh, tu ramasses les miens, faut plus te gêner!

    - Je ne l’ai pas fait exprès, tiens, reprends tes minables haricots blancs! Il sont moches, regarde les miens, on dirait des perles...

    - Tu as raison, ils sont aussi beaux que tu es moche, c’est dire s’ils sont beaux...

    Le pas lourd du grand-père arracha des gémissements aux marches en bois. Il s’arrêta, observa avec un sourire les deux paniers. Il rentra et réapparut peu après, les mains dans le dos. Il tendit un carré de gros chocolat a chacun des enfants. Il fit mine de se prendre les pieds dans la couverture, trébucha et se rattrapa en prenant appui sur Luc, en même temps, il lui glissa un second morceau de chocolat dans le creux de la main, avec un clin d’oeil appuyé. Une boule se noua au fond de sa gorge, ce geste affectueux lui alla droit au cœur.

    - Tu pleures, demanda Lucie, plus soupçonneuse que surprise, c’est le deuxième morceau qui a du mal à descendre?

     La remarque acerbe, formulée sans lever les yeux de ses haricots, son maintien guindé et le mouvement de sa bouche en accent circonflexe provoquèrent le fou rire du garçon qui se dépêchait de déglutir. Le nuage humide qu’il expectora souleva les cheveux de la cousine. Digne, les yeux baissés, elle s’essuya le visage.

    - Heureusement qu’il n’y avait pas de noisettes, tu aurais pu me trouer la peau... Merci pour mon col blanc, tu vas peut être dire que c’est la nouvelle mode à Metz?

    - Oh excuse-moi Lulu, c’est parti d’un seul coup, attends, je vais t’aider.

    - Sûrement pas, et d’une j’ai horreur qu’on m’appelle Lulu, et de deux mon col n’est pas à tartiner!

    La grand-mère arriva au bon moment pour sortir Luc de son embarras.

    C’est bien, vous avez beaucoup travaillé, à table maintenant.

    Le grand-père terminait son repas.

    - Il est pressé, demanda Luc.

    - Oui, il va à la pêche, ce n’est vraiment pas raisonnable avec cette chaleur.

    - C’est chouette, dis, pourquoi il ne veut pas m’emmener avec lui?

    - Tu es trop jeune, tu ferais fuir les poissons, et il aime rester seul quand il est au bord de l’eau, il dit qu’il parle aux oiseaux et aux poissons.

    - En tout cas, quand je serai grand, moi aussi j’irai à la pêche.

    - Grand malin, est-ce que tu sais seulement nager?

    Lucie sauta à pieds joints sur une si belle occasion.

    - Mais oui qu’il sait nager! Comme un fer à repasser dans une fosse à purin!

    Luc visa au jugé  sous la table les tibias de sa cousine, qui esquiva.

    - Raté monsieur, essaie encore une fois, et tu verras ce que je fais de ma fourchette.

    Le grand-père s’essuya la bouche d’un revers de la main, se leva et regarda Luc, il dit quelques mots en riant à son épouse.

    - Qu’est-ce qu’il dit? Il veut m’emmener avec lui?

    - Non, il demande si tu as beaucoup de fiancées à Metz, si tu as brisé beaucoup de cœurs.

    Luc rougit. L’expression goguenarde de Lucie accentua la poussée de sang, ses oreilles flambèrent.

    Il bégaya, honteux et scandalisé par les propos.

    - Je n’ai pas de petite amie, ce sont des pisseuses, tout ce qu’elles veulent c’est me piquer ma première place à l’école et mes bon points!

    Le grand-père écouta la traduction, sans rire. Il leva son index et s’adressa à Luc comme s’il pouvait le comprendre.

    - Tu as raison mon garçon, prends ton temps et réfléchis bien... Demain tu penseras peut-être autrement, gare à toi si tu te trompes, dis-toi que c’est bien plus important de pouvoir conserver la tête haute.

    Luc ne comprit pas le sens de la traduction. Ces notions, pour lui abstraites, ces histoires de grandes personnes ne le concernaient pas. Il lui suffisait de penser à sa mère et Maurice, à tante Martine et son Paul pour savoir que plus tard, tout serait clair, inondé de soleil, qu’il vivrait un dimanche éternel. Il aurait bien aimé répondre avec ses mots, tout de suite, sans traduction. Son impuissance lui faisait mal, il frappa du poing sur la table.

    - Dis-lui qu’un jour je parlerai l’allemand, et qu’on ira à la pêche ensemble, dis-lui!

    Le vieil homme tapota les cheveux de l’enfant et murmura,

    - C’est bien, tu es un bon petit... ( à suivre )

     

     

     

     

    La Weideheck - Les orties - Le berger - Cécile arrive

     

    Le Camembert aux asticots

     

    Le titre du chapitre suivant va vous faire languir jusqu'à samedi prochain... Torture intellectuelle...

     

     

     

     

      

     

     

     

     

     

     

     

     

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    Ah les giboulées de mars! Une rafale de neige vient d'emporter la fumée de la cheminée puis, arrivé comme un malveillant, deux doigts de soleil se sont glissés entre les nuages gonflés de neige... Pourvu que le gel ne s'en mêle pas, ce serait la mort de toutes mes fleurs...

    Bonne fin de semaine et bonne lecture..

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    La saga de Luc (vol. 1)

    Disponible aux Editions Les3colonnes

     

     

     

     

    Les rapides de Lorraine - Le cochon - Le mirabellier

    L’armoire à linge - Saint Nicolas

    La fosse à purin

     

    La Saga de Luc ( suite )... On ne mangera plus ensemble...

    Il ploya les genoux quand la masse s’abattit sur le crâne de l’animal

    - Du calme mon garçon, ou on n’arrivera pas au bout de nos peines. Toi Lucie, va un peu plus loin, tu vois bien que tu le gênes.

    Elle ajouta pour elle-même, mon Dieu, qu’il est maigre ce garçon...

    La brosse à chiendent arriva à bout de toutes les taches brunes qui filaient en rigoles serrées par la bonde de l’abreuvoir. Le robinet déversait des flots d’eau glacée et couvrait les claquements de dents du garçon, secoué de vagues de chair de poule de la racine des cheveux jusqu’aux pieds.

    - Bien, maintenant il va falloir te sécher, heureusement que tes affaires ne sont pas bien épaisses, viens, on rentre.

    Transi, mais propre, Luc put enfin camoufler sa nudité sous une couverture jetée sur les épaules et frissonner en paix dans la cuisine.

    - Tiens, ça va te redonner des couleurs.

    Le garçon ronronna de plaisir en mordant dans le saindoux et l’ail. Il n’osait plus parler des bonnes tartines de la voisine à sa grand-mère, depuis que celle-ci lui avait répondu, agacée,

    - Il n’y a que les sauvages et les polaks qui mangent ça!

     

    Les courses et les roulades dans les prés effacèrent vite l’épisode de la fosse à purin, de toute façon, affirma-t-il après coup, l’odeur du fumier n’est pas si mauvaise que ça. Il partait seul, à l’aventure, certains après-midis, découragé par Lucie et ses deux copines qui tenaient à jouer à la poupée ou à la maîtresse. En effectuant un savant détour par les jardins, accroupi derrière les haies, il gagnait la décharge, juste au début de la rue, visible de la fenêtre de la chambre des grands-parents. Sa grand-mère le mettait en garde régulièrement.

    - Cela ne se fait pas d’aller fouiller dans la décharge, c’est bon pour les romanichels, ils penseraient quoi les gens?

    Pourtant, avec de la patience et du flair, et en fouillant bien, c’est fou tout ce qu’on pouvait y trouver. Il y avait découvert la première fois un casque allemand presque pas rouillé. Il crut faire sensation, coiffé de cet attribut viril pour le dîner, et ne comprit rien à la colère du grand-père. Jeanjean et le petit Yvan en seraient morts de jalousie s’ils l’avaient vu, hélas, le casque disparut.

    La récolte s’annonçait nulle aujourd’hui. A part quelques charognes, des matelas éventrés et des morceaux de barbelés, la décharge offrait peu d’opportunités. Faute de mieux, il entreprit l’inventaire d’un carton rempli de flacons étiquetés, avec des noms imprononçables. Ah si les copains étaient là! Les bouteilles tenaient bien dans la main, comme des grenades. Que ce soit dans les caves ou les étables, beaucoup de gens utilisaient les lampes à carbure fournies par la mine et jetaient les déchets de la combustion dans un coin de la décharge, ce qui ne manqua pas d’exciter l’imagination de Luc. Il tria en expert les bons morceaux, assez pour garnir le fond de quatre flacons. Alors, en souvenir des bons vieux jours, en souvenir du bunker du Japonais, il pissa dans le premier flacon, d’un peu trop haut, en arrosant plus sa main que l’intérieur du récipient. Les goulots étroits ne facilitaient guère l’affaire. Heureusement, le col du quatrième flacon se révéla plus large. Pour ne rien perdre des dernières gouttes et prévenir tout risque de gaspillage, il introduit son sexe dans l’ouverture. Luc soupira de plaisir, il allait disposer de trois grenades, dommage qu’il ne possédait plus le casque. Le pont de protection au-dessus de la route faisait un superbe objectif. Il sursauta soudain, les yeux écarquillés par l’incompréhension, puis sans transition, des hurlements accompagnèrent ses cabrioles. Il se mit à courir dans tous les sens comme un canard à qui on aurait coupé le cou. Criant, sautant, trépignant, il se rua sur un tas de plumes et s’en remplit la culotte, par le haut, par la braguette, voulut compléter par des poignées d’herbe arrachée dans l’espoir de soulager son sexe rouge, gonflé, attaqué par une brûlure atroce. Le feu intense eut raison de ses forces, sa gorge n’arriva plus qu’à produire des râles entrecoupés de lambeaux de prières à Dieu et même à la Sainte Vierge. Les lancées fulgurantes du début s’atténuèrent lentement. Il se souvint d’une ornière remplie d’eau couleur de rouille, s’y précipita, suivi par un nuage de plumes. Des grognements enragés remplacèrent ses cris stridents. Il trempa le reste des plumes dans l’eau boueuse, s’en fit un gros cataplasme et soupira de soulagement entre deux sanglots. Il répéta plusieurs fois l’opération, puis s’assit les jambes écartées et observa avec consternation le résultat de sa malheureuse expérience. Des pelures de peau écarlate se détachaient comme des gerçures de son sexe enflé, j’ai plus de zob, j’ai une saucisse à cuire dans le slip finit-il par chantonner. Luc passa le reste de l’après-midi allongé dans un pré, à observer le va et vient de scarabées et le cheminement furtif de mulots. Il roula sur le dos, les bras en croix, jambes tendues et tenta de repérer l’alouette, qui, il en était convaincu, ne chantait que pour lui. L’incendie s’éteignait, la sensation devenait presque agréable, presque amicale. L’odeur sucrée de milliers de petits boutons jaunes passait par vagues tièdes, il s’endormit, les yeux remplis du vaste ciel. 

    C’est la sirène de la mine qui le réveilla. Vacillant, ébloui par le soleil,le garçon se dirigea vers le potager où il s’assit à l’ombre du mirabellier. Armé d’une tige de rhubarbe montée en graine, les traits tirés par l’acidité, il se confia à l’arbre.

    - Tu en as de la chance toi, tu attends que ça se passe... Tu es grand et fort... Si tu savais ce qui m’est arrivé, tu ne peux pas savoir, mais je vais te raconter parce que c’est toi et que tu ne le répéteras à personne...

    Assis face au tronc, Luc se lança dans un discours emphatique où il devenait un héros, pris au piège par des nazis fanatiques décidés à faire périr le village en distribuant des bouteilles de poison. Son courage et sa présence d’esprit venaient de sauver la population d’une mort certaine. Il se tut à plusieurs reprises,attentif à des répliques imaginaires de l’arbre. Il approuvait de la tête et répondait,

    - Ah ça oui, putain, tu l’as dit...

    - Mais qu’est-ce que tu fiches là? Tu parles tout seul? Tu serais pas devenu maboule des fois? La grand-mère avait bien dit que tu ne devais pas rester trop au soleil! Viens, on va au village chercher le lait.

    Luc marmonna une réponse inintelligible et suivit sa cousine, trop heureux de la diversion.

    Un orage éclata dans la nuit, les roulements du tonnerre n’en finissaient pas, les éclairs qui illuminaient l’intérieur de la chambre projetaient des ombres fantastiques fuyantes sur les murs. Lucie tremblait sous les draps, se raidissait  et poussait des petits cris à chaque impact, pour le plus grand bonheur de son cousin dans son meilleur rôle, celui du héros sans peur. Il raconterait à ses copains que, surpris en plein champ, la foudre faisait exploser les arbres en le poursuivant et qu’il ne dut son salut qu’à la protection d’un calvaire. Oui, la foudre mitraillait tout autour de la croix, retenue par une force invisible. Normal, puisqu’il était immunisé contre les mauvais sorts. Il repensa brusquement à ce que lui avait dit la grand-mère dans le clapier.

    - Et ta mère, elle va se décider enfin à se remarier? ( à suivre )

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  • Combien parmi vous ont eu une grand-mère ou une tante qui vivait à la campagne? Là où vous avez amassé tant de souvenirs qui ne vous quitteront jamais...

    Le temps, obstiné, s'écoule, il vous façonnera malgré vous, pourtant, ces souvenirs d'enfance ne s'effaceront jamais...

     

     

     

    Dans" La Saga de Luc", vol. 1

    disponible aux Editions Les 3colonnes

     

    Elle fumait des Baltos

     

     

     

    Les rapides de Lorraine - Le cochon - Le mirabellier

    L’armoire à linge - Saint Nicolas

    La fosse à purin

     

     

     

    La Saga de Luc ( suite )

     

     

     

     

    2

      Salut toi, c’est chouette de te voir, tu vas rester longtemps?

    Luc sursauta, surpris dans ses salutations au mirabellier.

     Du même âge, de taille identique, Lucie respirait la santé. Ses joues bronzées son joli visage ovale encadré par de longs cheveux châtains, des yeux gris bleu et des jambes de cabri lui donnaient l’allure d’une nymphe des prés. 

    - Je ne sais pas, peut-être un mois, peut-être plus, ça dépend de ma mère, on verra bien...

    - On va bien s’amuser, j’ai trouvé un coin formidable. Il y a des grands qui ont construit une cabane au-dessus de la Weideheck, si, je t’assure, on voit couler l’eau sous les pieds! On ira demain. Tu viens? C’est l’heure de manger.

    Le soleil se faisait engloutir par l’horizon, un semblant de fraîcheur redonnait vie à la campagne assoupie. Les poules se remirent à courir, les lapins à caracoler dans les clapiers. Les crapauds entonnèrent les vêpres. La terre frappée par les rayons cuisants renvoyaient dans l’air immobile une quantité de senteurs. Des assiettes et des couverts cliquetaient dans toutes les cuisines, au même rythme tranquille que les wagonnets. Une paix, une douceur proche de l’extase remplaçait la présence cuisante du soleil. La campagne avait retenu son souffle tout l’après-midi, elle respirait maintenant, sereine, apaisée. Luc se retourna juste avant d’entrer dans la maison. L’horizon en feu mijotait quelques nuages ventrus, pressés de se faire happer par le chaudron céleste. Il embrassa son grand-père, un homme grand, aux cheveux blancs frisés, et une moustache à la Adolphe. Il se leva, le salua et éclata de rire en pointant son index. Luc aurait tout donné pour comprendre et partager l’hilarité du grand-père qu’il admirait. Malheureusement, il ne comprenait pas l’allemand. Il demanda à sa grand-mère,

    - Qu’est-ce qu’il dit?

    - Il dit que tu ne dois pas aller chez les voisins et lâcher leurs poules,que tu ne dois pas jouer au bandit de la ville.

    - Tu peux lui dire que je suis un grand maintenant et que j’ai passé l’âge de jouer comme les gamins, dis-lui.

    Le grand-père écouta la traduction, s’esclaffa, saisit le garçon par la nuque et le força à s’agenouiller. Il lui coinça la tête entre les cuisses et expulsa un pet aux sonorités fracassantes. Insensible aux gesticulations frénétiques de Luc qui voulait se dégager, il émit un second pet, sourd et nauséabond. Les forces décuplées par l’indignation, le garçon se dégagea en criant. Ses oreilles gaufrées par les grosses côtes du pantalon en velours virèrent au rouge vif. Lucie s’étouffait de rire, la grand-mère faisait mine d’être choquée,mais ses yeux pétillaient.

    - Puisque tu es un grand maintenant, le grand-père t’a baptisé, c’est l’épreuve du feu comme dans les tranchées, lui dit Lucie.

    Sa colère tomba, et il ajouta son rire aux autres. La voix du grand-père tonna,

    - Ruhe! (Silence)

    Il augmenta le son et écouta le débit monotone des informations du soir en allemand. Lucie et Luc jouèrent ensuite aux cartes sous le regard de la grand-mère qui reprisait un vêtement de travail. Elle commanda plusieurs fois, sans grande conviction,

    - Allez, les enfants, il est l’heure d’aller se coucher.

    Impatient d’aller dans le grand lit avec sa cousine pour se raconter des histoires d’horreur, Luc retardait cependant cet instant. Une crainte proche de la panique lui tordait l’estomac. Chaque nuit, dans cette chambre, le même cauchemar le réveillait. Il s’asseyait alors dans le noir, pleurait et prononçait des discours dénués de tout sens. Il rêvait qu’il gravissait une montagne de sable, et plus il montait, plus il s’enfonçait. Il arrivait avec beaucoup de peine et d’efforts presque au sommet, mais au dernier pas, le sable se dérobait et finalement l’ensevelissait. Il craignait encore plus d’avoir à se lever en pleine nuit pour aller aux toilettes. Le noir épais, ajouté à un silence effrayant le terrorisait. Il se souvint des dernières vacances où il n’avait pas trouvé la porte, erré dans le noir, les bras tendus dans le vide, sans repère et la vessie douloureuse. Il ne comprenait pas que ses sanglots n’éveillent personne. Il errait dans un monde hostile, écrasant. Il se souvenait vaguement avoir été une nuit ébloui par une lumière violente et secoué par sa grand-mère.

    - Mais qu’est-ce que tu fais là?

    - Je pisse, tu vois.

    - Et en plus tu refermes la porte sur toi!

    - Il faut toujours fermer la porte quand on va aux toilettes...

    - Nigaud que tu es! Tu es dans mon armoire à linge! Si le grand-père se réveille gare à toi!

    - Ah?

    La grand-mère ramena par la main le somnambule dans son lit. Que dire de ces autres années , lorsqu’il faisait encore pipi au lit!

    Il devait avoir six ou sept ans. Cela se passait toujours les nuits où le mauvais génie l’obligeait à gravir cette maudite montagne de sable. Quel plaisir de se libérer et de sentir cette chaleur bienfaisante, annonciatrice d’un sommeil si profond, si confortable... Le contact froid du matin le réveillait en sursaut et le plongeait derechef dans un autre cauchemar, réveillé celui-là. Pour sa grand-mère, faire pipi au lit se trouvait en première position sur la liste des péchés. Aiguillonné par la honte et la crainte, il crut avoir trouvé la parade, en léchant la grande tache aux bords ambrés, et en mâchouillant le drap pour en extraire les traces du crime. Il lui plaisait de croire que sa grand-mère fut dupe. Le plus dur, le plus horrible, le souvenir qui le secouait le plus remontait à deux ans.

    Tout avait commencé par ce matin glacé lorsque des hommes larges et grands, insensibles au froid, les manches de chemise retroussées, avaient extrait son compagnon de goinfrerie de la porcherie. Luc écouta les couinements déchirants de loin, en se tordant les mains de terreur, ses gémissements à l’unisson de la bête martyrisée. Il aurait voulu courir le plus loin possible, ne plus entendre, mais il restait vissé au sol, au coin de la maison, fasciné par le drame. Il adressa dans un murmure fervent un prière à son ami : pardonne-moi de t’avoir craché sur la tête, de t’avoir appelé gros tas de saindoux, je t’aimais bien... On ne mangera plus ensemble...

    Il ploya les genoux quand la masse s’abattit sur le crâne de l’animal ( à suivre ) 

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